Ce n'est pas le nom de code de la dernière mission d’un quelconque imprédictible agent secret mais celui d'un projet éco-touristique né il y a
sept ans à la rencontre de l’océan et de l’équateur.
En 2002, Mike Fay, un biologiste américain, effectua un "mégatransect" à travers le Gabon pour en relever la biodiversité et documenter la richesse de sa faune et de sa flore. Cette traversée,
sponsorisée par la Wildlife Conservation Society et le National Geographic servit à convaincre le président Bongo de créer 13 parcs nationaux qui couvrirait 11 % du territoire. Les intérêts
pétroliers, forestiers et minéraliers mettent à mal cette noble intention mais la protection de ces réserves est globalement respectée. Après Waka, la Lopé, Mayumba, il me fallait découvrir le
plus célèbre d’entre eux : le parc de Loango. Depuis Lambaréné, un bateau rejoint deux fois par semaine Port-Gentil en sept heures. Il faut ensuite attendre un autre bateau qui mène à Omboué
en trois heures et enfin prendre une voiture qui vous laisse à Iguéla après également trois heures de piste. Autant dire qu’il faut deux jours pour y arriver et nos moyens ne nous permettant pas
de nous offrir une suite au Loango Lodge, je cherchais depuis longtemps le moyen d’y aller par la piste pour y camper mais obtenais peu de renseignements fiables sur la possibilité de cet
itinéraire. Ninon étant en vacances pour 15 jours à Lambaréné et en compagnie de Barbara, stagiaire allemande à l’URM, nous décidâmes d’entreprendre l’expédition par le sud.
Après un arrêt à Fougamou pour déjeuner avec Arti et Christian, tous deux autrichiens travaillant également pour l’URM dans le petit hôpital de Fougamou au bord de la Ngounié, je continuais jusqu’à Yombi puis prenais vers l’ouest. Je savais que la piste de Mandji était bonne jusqu’à Rabi car entretenue par Shell qui y exploite un gisement. L’inconnue commençait vraiment à cet endroit.
Nous nous retrouvâmes vers 18 heures devant une barrière qui marquait le début véritable du site SHELL. Un gardien nous signifia qu’il était
trop tard pour passer et que sans autorisation préalable, il était de toute façon impossible de traverser. Il voulut bien cependant après palabres me faire remplir une demande qu’il faxerait à la
sécurité de Shell mais la nuit approchant nous devions obligatoirement retourner à Mandji pour y dormir, c'est-à-dire refaire dans l’autre sens les deux dernières heures de piste. J’obtempérais
respectueusement, fis demi-tour et nous campâmes trois kilomètres plus loin, en pleine forêt, à l’abri des regards sur une aire dégagée d’où émergeait une vanne de pipe-line. Aucun éléphant ni
panthère apparemment abondants dans la région ne vînt troubler notre sommeil.
.
Le lendemain, munis du précieux sésame, la barrière s’ouvrît mais nous dûmes suivre tous feux allumés – y compris les feux de détresse- un patrouilleur 4X4 muni d’un gyrophare qui nous mena à
travers les vingt-cinq kilomètres de la zone visiblement sensible du site à la vitesse très précise de trente kilomètre-heure jusqu’à une autre barrière qui marquait la sortie.
Les gardes nous avaient indiqués qu’on pouvait effectivement aller jusqu’à Omboué ou Iguéla par la piste mais qu’ils ne l’avaient jamais fait….
Cette dernière portion du trajet bien qu’un peu plus dégradée, traversant un campement forestier et quelques villages isolés, s’avéra en réalité
très facile mais un bruit bizarre venant du dessous de la voiture et qui s’accentua progressivement m’inquiéta sur les dix derniers kilomètres. Au ralenti nous parvînmes enfin vers midi au Loango
Lodge où un travailleur croisé sur le chemin m’avait assuré que je trouverai un mécanicien. Le lodge est magnifiquement situé au bord de la lagune. Les touristes y sont relativement rares car le
lieu étant difficilement accessible il faut du temps et de l’argent pour s’y offrir même un court séjour. Le mécano diagnostiqua un problème au niveau de la butée d’embrayage, il fallait
commander la pièce à Port-Gentil, par chance un véhicule de ravitaillement arrivait le lendemain. Il ne nous restait plus qu’à attendre. Après un nouveau bivouac sauvage, nous passâmes la journée
du lendemain au bord de la piscine du lodge qui n’attendait que nous. Ce bain providentiel après deux jours et deux nuits s’avéra salutaire pour notre épiderme et nos papilles olfactives qui
commençaient à s’offusquer de nos émanations. Le soir la pièce arriva et nous convînmes d’organiser un safari le lendemain dans le parc pendant que le mécano réparerait.
Pour accéder au parc de Loango, il faut d’abord traverser la lagune sur un petit bateau. Un 4X4 équipé nous attend sur l’autre
rive. Cinq minutes plus tard nous apercevons notre premier éléphant au loin mais le ciel est couvert et bientôt la pluie nous accompagnera une bonne partie de la journée. Mais par ce temps les
animaux ne craignent pas de se disperser dans la savane mosaïque ponctuée de bois et de bosquets qui constitue le paysage remarquable du parc qui s’étend au sud jusque Sette Cama que j’ai déjà
évoqué.
Buffles et éléphants abondent et s’abritent dans les bosquets quand notre présence devient inopportune. Les buffles mâles, fiers et frondeurs, nous jaugent du regard et ne cèdent à leur instinct
de fuite que lorsque femelles et progénitures aient disparu dans les bois.
Un éléphanteau de deux jours fera fondre le cœur des demoiselles qui m’accompagnent.
On peut apercevoir sitatungas (antilopes), cercopithèques ( petits singes), hippopotames ( en saison sèche), potamochères. Un cobra, fièrement dressé sur son quant-à-soi persiflera sur notre
passage.
Nous ferons une pause du midi à Tassi un des deux camps satellites où il est possible de dormir à proximité de la mer.
Un peu plus loin, un petit campement de fortune accueille sous des tentes des chercheurs et leurs guides. Et qu’étudient-ils ces grands malades ? Les gorilles et les chimpanzés bien
sûr !
C’est simple, je les maudis.
Accompagnés de leurs pisteurs ( pygmés venant de la Ngounié à proximité de Waka – tiens, tiens, ça me donne des idées), ils explorent la forêt plus au sud, relèvent les traces et les nids de gorilles, étudient les comportements des chimpanzés, placent des caméras de détection aux endroits sensibles qu’ils relèvent tous les quinze jours, et de temps se font une séance vidéo avec les films ainsi réalisés.
Je rêve.
En fin d’après-midi nous rejoignons la lagune où nous attendent deux éléphants qui posent complaisamment pour la photo.
Retour au lodge : ce n’était pas la butée d’embrayage mais la boîte de transfert qui ne contenait plus une goutte d’huile. Ce n’est pas moins grave mais après remplissage, nous pourrons
rentrer sur Lambaréné.
Il me faut maintenant trouver un vrai bon mécanicien et ça c’est une autre aventure.