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29 mai 2017 1 29 /05 /mai /2017 09:43

Comment ai-je pu me laisser convaincre, le sourire aux lèvres, au bord d’une grotte perdue dans le fin fond de la forêt équatoriale et à des heures de tout centre de soin digne de ce nom, de manipuler un mamba noir, un des serpents les plus dangereux du monde, dont le venin est mortel en moins d’une heure ? De manière générale, si un jour vous êtes mordu par un mamba noir et que vous n’êtes pas mort au bout de … disons quatre heures maximum, c’est que ce n’était pas un mamba noir. D’ailleurs maintenant je peux vous le dire, ce n’était pas un mamba noir, mais un gonionotophis savorgnani, autrement dit une couleuvre totalement inoffensive d’après Laurent CHIRIO, herpétologue réputé (« Atlas des reptiles du Cameroun »), qui m’accompagnait ce jour-là. Bien sûr il me coûte de mettre à mal l’éphémère notoriété puérile que m’octroyait ce cliché spectaculaire et qui me valut beaucoup plus de succès populaire que mon étude préliminaire à l’introspection transcendantale, mais la rigueur scientifique et une honnêteté intellectuelle bien que tardive me commandent de divulguer cette vérité pédagogique.

Le mamba noir n’est pas noir, mais sa couleur va du jaune-vert-olive au gris métallisé. Il a une longue tête rectangulaire, peut mesurer jusqu’à 4 mètres et sa présence au Gabon est toujours discutée, en tous cas assez rare. Cependant il fait toujours l’objet de bien des fantasmes. Dans l’imaginaire collectif local, en dehors des cobras facilement reconnaissables, il n’y a que 2 sortes de serpents : les mambas noirs et les mambas verts. Le serpent ne mord que s’il est agressé, il est généralement discret et préfère la fuite à tout conflit inutile. Il se nourrit de petits rongeurs, d’oiseaux et d’œufs. Les trois quarts des serpents ne sont pas venimeux et peu sont mortels. Il faut savoir qu’un serpent peut mordre sans injecter de venin, que la quantité de venin injecté est aléatoire, que le venin peut se disperser au travers du vêtement s’il y en a, que la localisation de la morsure (voie sanguine ou masse adipeuse) modifie la diffusion du venin.

Les décès par morsure de serpent sont exceptionnels. Je n’en ai connu qu'un en huit ans de présence à l’hôpital Schweitzer. Les complications locales sont beaucoup plus fréquentes, soit par effet direct de la toxine, soit par des manœuvres intempestives qui aggravent les dégâts locaux. Globalement, sans signe local dans les quatre heures, on peut assurer qu’il n’y a pas eu envenimation et qu’il n’y a aucun risque vital sans signes généraux marqués pendant cette période. Nous disposons à l’hôpital de quelques ampoules de sérum antivenimeux qui coûtent très cher (plus de 120 euros l’ampoule).

Cette petite digression anthropozoologique est le résumé des réponses que je formule aux nombreuses questions que l’on me pose souvent sur les serpents. Ma conclusion n’est pas vraiment rassurante : ce qui tue le plus en Afrique, ce ne sont ni les serpents, ni les bêtes sauvages, ni les moustiques, ni les maladies tropicales, ce sont les dangers de la route. Mais ceci est une autre histoire.

Revenons à cette grotte où je suis apparu.

Depuis de nombreuses années, ma curiosité était attisée par ces montagnes de Fougamou, appellation familière du massif du Koumouna Bouali qui émerge de Fougamou à Yombi, puis de Yombi en direction de Mandji. J’avais tenté à plusieurs reprises avec Manny de trouver une piste me permettant d’escalader cette montagne, mais sans succès. Visiblement les chantiers forestiers n’avaient pu progresser le long de ces pentes abruptes. C’est pourquoi lorsqu’on me contacta pour accompagner une mission naturaliste dans ces montagnes difficiles d’accès, j’acceptai immédiatement. Maël est batrachologue (« Les amphibiens d’Afrique Centrale et d’Angola »), Laurent herpétologue. L'objectif essentiel de cette mission est de déterminer s’il existe des espèces endémiques dans ce milieu préservé et d’en estimer la biodiversité. Après avoir en vain cherché un nouvel accès pour nous approcher au plus près du pied de la montagne, nous nous sommes résolus à nous arrêter au village de Bikourou. Le chef nous reçut dans sa case où s’étalait, à notre grande surprise, sur un mur un immense poster des batraciens du Gabon ! Le destin nous faisait un aimable clin d’œil. Après avoir expliqué notre projet, il mit à notre disposition 2 porteurs qui nous guideraient dans la montagne.

 

 

 

 

 

Grâce à eux nous atteindrons le lendemain notre premier refuge : une grotte à flanc de montagne au pied de laquelle coule une petite rivière. Cette grotte sert d’abri aux chasseurs qui mettent leurs pièges dans les environs. Une agréable surprise nous attend : sur le surplomb rocheux de la caverne est exposé un nid de picathartes.

 

 

 

 

 

Le picatharte du Cameroun (l’autre étant celui de Guinée) est un très bel oiseau rare, craintif, exigeant dans son habitat, le plus souvent une grotte avec une rivière en contrebas. Effectivement, c’est vérifié. C’est le graal des ornithologues, que beaucoup ne verront jamais. Il est classé vulnérable. Le nid est habité par deux petits qui piaillent de temps à autre. Le picatharte est monogame et le soir venu nous verrons tour à tour le papa et la maman venir nourrir les petits. Pendant de longues minutes, il se tenait à distance, toujours sur la même branche. Une espèce de chuintement sourd trahissait sa présence. Repliés dans un coin de la grotte, nous nous tenions immobiles, figés dans l’attente de son approche. Progressivement, par petits bonds il se posait sur l’immense tronc qui bouchait l’entrée de la grotte. L’œil toujours aux aguets, hésitant, il évaluait les lieux. Nous en profitions pour admirer son remarquable plumage et sa naturelle élégance. Son masque noir et sa nuque rouge, son port de tête altier, sa silhouette élancée contribuent sans doute à sa légende. Enfin, jugeant l’environnement inoffensif, il s’envolait pour s’accrocher sur les bords et souvent pénétrer dans le nid où il nourrissait les petits de boulettes de réjection, d’araignées ou de petites grenouilles. Petit à petit, semblant s’habituer à notre présence, ils vinrent en alternance matin, midi et soir et même à deux reprises, le couple réuni nous rendit visite.

 

Après avoir cherché en vain une rivière à plus de 500 mètres d’altitude, nous dûmes redescendre vers les 250 mètres et trouvâmes une nouvelle grotte, ou plutôt une espèce de gigantesque menhir dont le rocher supérieur nous offrait un abri suffisant. Quand l’orage gronde dans la montagne, en plein cœur de la saison des pluies, il est rassurant de se sentir confortablement protégé par une immense masse rocheuse. Enfin quand je dis confortablement, nous sommes plus proches des commodités préhistoriques que de roche-beau-bois. On se prend d’ailleurs à espérer des inscriptions ancestrales dans les anfractuosités ou à chercher des morceaux de silex enterrés. Et si la première grotte était occupée occasionnellement par des chasseurs, aucune activité humaine antique ou récente n’est visible dans celle-ci.

 

 

 

 

 

 

 

En explorant les environs, une nouvelle résurgence de rivière apparaît en petites cascades prolifiques. Cela fait déjà trois ou quatre jours que nous explorons cette montagne, et sa véritable nature se révèle chaque jour davantage : chaotique.

 

Autant répondre tout de suite à la question que vous vous posez tous (si si). A quoi sert un naturaliste ?

Franchement. A rien.

Pas plus d’ailleurs qu’un médecin qui a l’outrecuidance de penser qu’il va soulager la misère du monde. Car je vous le demande : quel plaisir peut-il y avoir à côtoyer en permanence la maladie et la souffrance. Des pervers, c’est tout. Alors que tout le monde sait qu’un bon rhume ou une mauvaise grippe ne se traitent pas, qu’un bouton d’acné finira toujours par récidiver et que les progrès de la médecine ont tout juste permis au sempiternel animateur des après-midi dominicales d’augmenter les chiffres de son audience postprandiale de quelques téléspectateurs grabataires supplémentaires.

Mon meilleur ami en France est vigneron : voilà un vrai métier qui participe au rayonnement de l’humanité.

Donc un naturaliste ne sert à rien et je le prouve.


Imaginez un instant un jeune homme vigoureux, dans la pleine force de l’âge, passer son samedi soir trempé sous des trombes d’eau, à chercher des grenouilles sous les monstrueux rochers d’une rivière perdue d’une montagne d’Afrique Centrale, alors que comme tout individu normalement constitué il pourrait être tranquillement en train de se trémousser sur le dancefloor d’une boîte de nuit, un verre de caïpirinha à la main, sur le dernier tube de Rihanna ou de Yemi ALADE. Fatalement, je me mets à spéculer sur l’équilibre mental du dit individu. Quand de surcroît, il rejoint la grotte où je méditais extatiquement sur les origines de l’homme à la lueur d’un feu de camp mystique, son faciès esbaudi par un sourire illuminé et les yeux étincelants, je me prépare au pire. «  J’ai trouvé une nouvelle espèce ! » déclare-t-il triomphant, « enfin probablement une nouvelle variante de Werneria ». Le voilà qui déballe ensuite son matériel photo sophistiqué et commence à prendre le spécimen sous toutes les coutures en s’extasiant sur les tympans, la longueur des orteils, la forme de la pupille ou le granulé de la peau. J’acquiesce poliment, ne voulant pas contrarier son euphorie. C’est un gentil garçon, et après tout il ne fait de mal à personne et prend même soin de réintroduire le batracien dans son milieu d’origine. Quand enfin la séance de pose s’achève, nous fêtons miss grenouille Koumouna Bouali avec un, peut-être deux, verres de pastis que nous avions pris soin d’emporter pour les grandes occasions.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais ce n’est pas fini, car en dehors de Laurent qui joue avec les serpents venimeux comme Claude François avec le fil de son micro (ça ne lui a pas vraiment porté chance), et de Maël qui poursuit son casting amphibien, Fred nous a rejoint («  Les poissons d’eau douce de Guyane »). Je pensais qu’en termes d’énergumène j’avais tout vu, et bien j’avais tort. Ayant pratiqué pendant de nombreuses années la plongée sous-marine en Martinique, je possède quelques notions de matériel subaquatique. A la stupéfaction de nos porteurs Brian et Anicet, qui déjà trouvaient certains blancs parfois originaux, Fred se vêtit de pied en cap d’une combinaison intégrale de plongée, chaussons, gants, cagoule, masque, tuba, et d’un superbe appareil photo protégé par un énorme caisson étanche d’où émergeaient trois volumineux projecteurs identiques à des phares.

Je vivais jusqu’alors serein contemplatif, ténébreux bucolique, sans connaître l’existence des killis. Je vous sens vous trémousser d’impatience (si si). Les killies sont ces petits poissons de rivière, plus ou moins colorés (mâles ou femelles) qui peuplent les cours d’eau de tous les continents. Pour tout renseignement complémentaire, je vous invite à visiter le site du Killi Club de France qui vous en apprendra plus sur l’étude aquariologique des Cyprinodontes Ovipares ou Killies. Vous pourrez vous documenter sur l’ichtyologie des poissons d’eau douce, vous initier à l’élevage et la reproduction, découvrir des fiches techniques, consulter les archives, connaître les dates des prochains congrès, communiquer avec des passionnés qui passent leurs vacances dans les destinations les plus improbables pour trouver de nouveaux killis avec des noms tout aussi imprononçables. Fred donc s’équipe au bord du ruisseau, puis s’allonge doucement dans cinquante centimètres d’eau et poursuit dans son objectif le spécimen mordoré qui aura retenu son attention et qui aura la grâce et l’obligeance de rester immobile quelques secondes le temps de l’immortaliser. Il a également pris soin d’emmener un aquarium où un peu plus tard, il pourra posément prendre quelques clichés des échantillons les plus intéressants qu’il relâchera ensuite dans la rivière.


 

Des inutiles vous dis-je.

Chercheurs de biodiversité !!!

La biodiversité, c’est bien. Mais ça ne se mange pas. Quoique.

Qu’est-ce que ça peut bien nous faire, la biodiversité !

A l’heure où l’on peut consulter en direct via internet sur son écran LED dans son appartement climatisé les cours du NASDAQ, refaire sur sa PS4 les matchs de la ligue des champions, s’explorer tranquillement les narines, un paquet de chips à la main, tout en suivant d’un œil bovin les récentes péripéties sentimentales, lacrymales ou mammographiques de la dernière starlette boursoufflée à la mode. Franchement.


 

J’aime la Nature, l’art qu’elle met dans toutes ses formes, dans ses couleurs, dans ses extravagances, dans ses exubérances. Elle ose tout. A force de patience, même si cela doit prendre des millénaires, elle polira cette roche pour en faire une sculpture incomparable, elle élancera ce Moabi jusqu’au-dessus de la canopée, elle darwinisera son Evolution, elle créera des parades nuptiales et des instincts de survie, des symbioses et des parasitismes, des rivières et des montagnes, des monstres et des sirènes. La nature est un musée et une salle de spectacle à ciel ouvert permanents.Et tant que mes yeux pourront voir, je ne me lasserai pas d'aller l'admirer.

 

Les naturalistes sont des critiques d’art qui m’aident à comprendre la texture du tableau, la nature de la matière, l’origine des comportements, les nuances des couleurs, les raisons de l’inutile, la composition du mouvement, les démarches de la survie.

Les naturalistes sont des lanceurs d’alerte qui utilisent ces témoins de la santé de notre biotope que sont ces poissons minuscules, ces serpents venimeux, ces amphibiens préhistoriques pour nous transmettre des signaux d’impact de l’activité humaine sur l’environnement. On peut toujours poursuivre la politique d’une autruche adepte de la méthode Coué, se dire que tout va bien, qu’à partir du moment où nos déchets ne sont plus visibles c’est qu’ils ont disparu, qu’il faut bien du pétrole pour nos voitures, des routes bitumées pour aller plus vite, des hévéas pour nos pneus, des palmiers à huile pour nos tartines, des barrages hydro-électriques pour nos climatiseurs, des minerais pour nos industries, du cadmium pour nos portables, de l’or pour spéculer, des pesticides pour avoir moins de mildiou, des OGM pour utiliser moins de pesticides. On pourrait vivre dans un monde standardisé, avec des killis dans des aquariums, des oiseaux dans des cages, des jardins botaniques, des animaux exotiques dans des zoos. On pourrait domestiquer la nature pour la rendre conforme.

Je suis un citoyen de l’Etat sauvage.

Le Koumouna Bouali est un massif montagneux chaotique encombré d’éboulis, de résurgences de rivières, d’aplombs rocheux, de constructions intemporelles. Son inaccessibilité a préservé une forêt primaire indomptable dont on imagine la violence originelle. La canopée culmine à plus de 40mètres, les arbres sont gigantesques, les racines plantureuses, et l’absence de sous-bois accroît la visibilité. A plusieurs reprises, je suis parti seul explorer les flancs de la montagne. A 500 mètres d’altitude environ, je me suis accroupi derrière un arbuste. Au bout de quelques minutes, trois céphalophes bleus sont passés à une vingtaine de mètres de moi, cheminant tranquillement, visiblement sans crainte.

Des torquatus (ou bérets rouges) se chamaillent dans les frondaisons. On entend le vol des calaos, froufroutement si caractéristique, avant de les voir. Je suis un naturaliste littéraire, ignorant des terminologies scientifiques, simplement ébahi par le décor des lentes élaborations minérales, par la mise en scène des extravagances végétales, par le jeu des acteurs de la vie animale, par les formidables scénarios de l’impondérable. Je suis resté sur le seuil de la taxonomie, de la phylogénie, de l’orophilie et de l’endémisme. Mais j’ai appris à connaître (un peu) ces petits êtres de la chaîne alimentaire qui nous relie tous.

Mais mon lyrisme a ses limites quand vient l’heure du harcèlement des mélipones (abeilles sans dard), des nuages de moucherons qui s’infiltrent dans les narines, les oreilles, jusque dans les yeux, des piqures très douloureuses des fourmis Tetraponera vivant en symbiose avec le Bartéria (arbre de l’adultère, on y attachait les femmes fautives) ou des fourmis Magnan qui se déplacent en larges colonnes exterminant toute vie sur leur passage ( les pygmées se servent de leurs mâchoires pour suturer les plaies). Vous narrerai-je l’impitoyable et inexorable et lancinant supplice des Culicoides grahamii appelés communément «  fourous », diptère hématophage dont la piqure entraîne des démangeaisons pouvant faire vaciller les plus nobles résolutions du plus courtois et du plus stoïque des bouddhistes assermentés.


Alors je me réfugie dans ma grotte, derrière le rideau de fumée du feu de camp.

Maîtrise l’impatience.

Domestique l’ennui.

Explore le vide.

Domine le temps.

Prends ce qu’on te donne.

Cherche ce que tu n’as pas.

Marche vers l’inconnu.

Retrouve ce que tu as perdu.

Ecoute ce que tu n’entends plus.

Regarde ce que tu as perdu de vue.


 

Je suis seul ce soir avec Anicet. Il a dans l’après-midi confectionné son lit avec 4 morceaux de bois plantés en terre, reliés par des branches qui forment l’armature du sommier, d’autres lamelles habilement taillées composant le matelas. Il me raconte la vie au village, son ancien métier de prospecteur pour une société de recherche sismique pétrolière. Depuis deux ans, à la suite de la crise pétrolière, il n’a plus de travail. Il lui reste la plantation et la chasse. Il vient parfois dans ces montagnes, avec son fusil et ses pièges :

«  Après une nuit de chasse, je rentre au village, je fais un peu la plantation ou les affaires du village, la maison, les enfants, et quand le sommeil vient me ténébrer, alors je prends un petit repos »

 

                             Les mots naturels sont aussi les plus beaux.

 

 

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27 mai 2017 6 27 /05 /mai /2017 16:47

Comment ai-je pu me laisser convaincre, le sourire aux lèvres, au bord d’une grotte dans le fin fond de la forêt équatoriale et à des heures de tout centre de soin digne de ce nom, de manipuler un mamba noir, un des serpents les plus dangereux du monde, dont le venin est mortel en moins d’une heure ? C’est simple, si un jour vous êtes mordu par un mamba noir et que vous n’êtes pas mort au bout de … disons quatre heures maximum, c’est que ce n’était pas un mamba noir. D’ailleurs maintenant je peux vous le dire, ce n’était pas un mamba noir, mais un gonionotophis savorgnani, autrement dit une couleuvre totalement inoffensive d’après Laurent CHIRIO, herpétologue réputé (« Atlas des reptiles du Cameroun »), qui m’accompagnait ce jour-là. Bien sûr il me coûte de mettre à mal l’éphémère notoriété puérile que m’octroyait ce cliché spectaculaire et qui me valut beaucoup plus de succès populaire que mon étude préliminaire à l’introspection transcendantale, mais la rigueur scientifique et une honnêteté intellectuelle bien que tardive me commandent de divulguer cette vérité pédagogique.

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6 mars 2015 5 06 /03 /mars /2015 16:37
Début damné 2015

La petite fille est allongée sur la table d’examen. A deux ans, ses bouclettes blondes encadrent la lumière de ses yeux. Un soleil naissant se lève sur le bleu lagon de son regard innocent.

Je lui souris.

  • Tu as mal où ?
  • J’ai Ebola, murmure t-elle.

Je sursaute.

  • Tu as quoi ?
  • J’ai bobo là, répète t-elle en me désigna son ventre avec l’index.

Je la regarde à nouveau. Aucune vaguelette n’est venue troubler le calme limpide du bleu lagon. Elle a juste les sourcils relevés comme pour lui donner encore plus d’éclat. Elle a eu mal au ventre cette nuit, ce matin ça va déjà mieux. On va vite résoudre ça et la laisser à son innocence.

Début damné 2015

On vit des temps agités, des épidémies ravagent certains pays, des exterminateurs veulent enseigner la vraie foi et donc la vraie morale en enlevant des jeunes filles pour en faire des esclaves sexuelles et en bombardant des écoles, des journalistes se font égorger, des dessinateurs se font dégommer. L’éducation est un péché, le dessin un blasphème.

Je suis sur mon caillou, sous l’aisselle de l’Afrique, à regarder l’harmattan des haines et des virus se répandre sur le monde. Ici aussi à Malabo un voile de poussière nous embrume. On ne voit plus le ciel, sur le paséo on ne voit plus les côtes du Cameroun juste en face, on ne voit plus le Basile Bubi, le volcan de 3000 mètres qui domine l’île de Bioko, on distingue à peine les cargos qui mouillent au large. On est en janvier. Bonne année.

Début damné 2015

La CAN ( Coupe d’Afrique des Nations) de football vient de commencer sur le continent à Bata, l’autre capitale. En 2012 déjà, la Guinée équatoriale co-organisait le tournoi avec le Gabon. J’étais à la finale à Libreville où les éléphants de Côte d’Ivoire furent battus par les petits poucets zambiens. Cette fois-ci, le Maroc ayant déclaré forfait officiellement en raison de la menace EBOLA, la Guinée équatoriale s’est proposée en dernière minute pour accueillir seule la compétition, les deux grands stades de Malabo et Bata étant déjà prêts. Le président du pays depuis 36 ans et le président de la CAF ( Confédération Africaine de Football) depuis depuis tombèrent rapidement d’accord, cette solution rehaussant le prestige de chacun auprès de leur pairs et frères africains.

La CAN est une grand messe, une célébration de la religion du foot, et en Afrique on est très croyant. Chaque enfant, musulman ou chrétien, qui tape le ballon dans la rue rêve d’aller jouer dans un grand club en Europe. Religion, foot, politique, ces idéaux fédérateurs galvanisent les foules et sont utilisés à bon escient par les grands prêtres du pouvoir. Au village, il y a la mosquée ou le temple ou l’église ET le terrain de foot. Il y a parfois des morts dans les stades comme on tue dans les lieux de prières.

Ce qui unit le mieux, c’est l’ennemi commun.

Tous les week-ends, des fanatiques ou ultras comme ils s’autoproclament, vocifèrent leurs haines et leurs frustrations dans des stades. Ils scandent et hurlent des insultes et des slogans hostiles contre ceux qui ne sont pas comme eux. Le Ghana a battu la Guinée équatoriale en demi-finale de la CAN. Et tout a dégénéré. Au stade la tribune ghanéenne fut arrosée de projectiles en tous genres, bouteilles, cailloux, cannettes et leurs supporters durent se réfugier sur le terrain. Les joueurs furent contraints de rejoindre les vestiaires protégés par des policiers casqués angolais. Ensuite ce fut une nuit de dégradations en tous genres et de chasse à l’homme, il valait mieux ne pas parler anglais dans les rues de Malabo cette nuit-là.

Début damné 2015

Toutes les semaines des manifestations hostiles, des attentats, des représailles attisent les rancoeurs et la vengeance contre ceux qui ne prient pas comme eux.

Au départ il y a la foi.

Chacun est libre de croire en son Dieu mais la foi est une croyance. Personne ne détient la preuve de l’existence de Dieu. Un faisceau d’évènements qui ont engendré des récits ont amené certains à décréter la réalité d’un Dieu.

La foi est une liberté individuelle.

Et puis vinrent la religion et ses pratiques, son culte, ses rites. Des prophètes et des apôtres ont émis des versets et des chapitres, des interprétations et des recommandations, des commandements et des interdits. Cette pratique religieuse avec le temps et toujours sous l’influence de l’homme et de certaines révélations a évolué. La loi civile n’existant pas encore, c’était la Loi religieuse qui régissait les peuples. Tous les peuples se sont fédérés autour de ces croyances et de leurs pratiques qui ont créé les civilisations et organiser le vivre ensemble.

La religion est une pratique collective.

Le Pouvoir s’en est mêlé et ce qui était un ciment est devenu un instrument. On a parlé de guerres saintes, de guerres de religion, d’évangélisation, de « vraie foi », de jihad. La Gloire de Dieu est devenu l’étendard des nouveaux convertis. Et gare à ceux qui ne prient pas comme eux, qui ne votent pas comme eux, qui sont d’un autre club ou d’une autre nation.

« Falta de respeto » : les colons espagnols pour ce simple motif ( faute ou manque de respect), pour une attitude jugée trop fière ou un regard abaissé trop lentement punissaient avec violence leurs esclaves ou leurs sujets.

Début damné 2015

J’ai des amis chrétiens plus ou moins pratiquants, musulmans plus ou moins pratiquants, juifs plus ou moins pratiquants. Dans mon village, le toit de l’église est en piteux état et l’argent manque pour le réparer. Je suis non croyant ou mécréant, et pourtant la dégradation de cet édifice me touche. J’ai été baptisé, élevé dans la pratique religieuse catholique, j’ai accompli les rituels sacro-saints comme autant d’étapes de mon développement. Et puis un jour, je n’ai plus cru en ce qu’on m’avait fait croire. La Foi avait disparu. J’avais absorbé l’enseignement religieux comme une vérité éternelle et incontournable et soudain cet envoûtement spirituel s’est évaporé. J’avais perdu la Foi comme on cesse d’être amoureux, un jour, sans bien savoir pourquoi, on y croit plus. On a perdu la flamme. Alors on peut toujours rester ensemble, continuer à vivre comme si de rien n’était, aller aux offices, remplir ses devoirs, satisfaire aux rites, revêtir l’apparence, rester ensemble à cause des autres. Mais ma nature ne me porte pas à ces compromissions.

Je suis structurellement de culture catholique. Comme mon ami Sidi, mauritanien, agnostique, citoyen d’une république islamique, est de culture musulmane. Parce que l’on a été élevé dans cet environnement et que cette culture nous amène naturellement à tolérer les pratiques religieuses de notre entourage, même si l’on y croit plus. Mais c’est plus compliqué pour lui dans un pays où l’apostasie est passible de la peine de mort.

Vivant dans un pays où la religion et l’état sont séparés depuis plus d’un siècle, où le fonctionnement commun est basé sur la laïcité et ayant du moi-même forcer le destin pour accéder à l’émancipation religieuse, je suis parfois heurté par les signes extérieurs des autres religions qui reviennent envahir un espace que je croyais libéré. Les courbettes sur des tapis de prières, le port du niqab, les interdits alimentaires, « la Loi islamique », s’intègrent dans le paysage des pays de culture musulmane et je les respecte même si je ne les comprends pas. En France, si je vois un moine bouddhiste vêtu de sa toge orange se balader dans la rue je vais trouver ça folklorique. Si quelques mois ou quelques années plus tard, j’en croise cent ou mille, si des temples bouddhistes commencent à proliférer dans mon quartier avec leurs incantations, leurs bougies et leurs icônes rigolotes, cela risque sérieusement de commencer à m’irriter même si leur religion est une religion de paix. Enfin théoriquement car l’Hindouisme qui a donné naissance au Bouddhisme n’est pas si pacifique que ça et les violences entre hindouistes et musulmans sont fréquentes en Inde. ( cf la revue Cultures & Conflits). Comment vivre ensemble quand une communauté abat une vache, animal sacré de l’autre communauté ? Comment ne pas se heurter quand une procession religieuse hindoue passe en musique devant une mosquée au moment de la prière ?

Le Pouvoir sait utiliser ces rituels de provocation pour mobiliser sa communauté.

Je suis de culture catholique mais le pape m’énerve quand il s’exprime sur la contraception, le mariage, le divorce, le préservatif, le SIDA et nous autres pauvres pêcheurs.

Je suis de culture catholique mais Noël est une fête qui me gonfle, comme halloween, et leurs dérives commerciales. Par contre j’aime bien les lundi de Pâques ou de Pentecôte, ça m’arrange…

Je suis de culture catholique non croyant non pratiquant mais j’aime la solennité des églises, ces lieux grandiloquents aux piliers démesurés, aux voûtes élégantes, aux vitraux éclatants. J’aime y sentir les odeurs de mon enfance qui se sont imprégnées dimanche après dimanche dans ma mémoire olfactive, odeur d’encens, de vieilles boiseries, de dalles froides, de cierges consumés, d’humidité prégnante. J’ai grandi avec le clocher au milieu de mon village.

Début damné 2015

Dans ma culture les femmes se sont battues pour obtenir leur liberté de penser, de s’exprimer, de s’habiller, le droit de vote, la contraception, l’avortement. Dans ma culture la peine de mort a été abolie, l’homosexualité n’est pas réprimée, l’incitation à la haine raciale, le négationnisme, l’apologie ou la provocation au terrorisme, l’outrage à agent sont interdits. Dans ma culture j’ai le droit de dire des gros mots, des bêtises pas toujours marrantes, de boire un coup, de draguer les filles, de chanter, de danser, de manger ce que je veux quand je veux, de m’habiller comme je veux.

Dans ma culture il y a des Lois, il y a des Codes qui régissent ma liberté pour qu’elle ne s’exerce pas au détriment de celle des autres. La Nature a ses droits, La Justice a ses infractions, la morale a ses recommandations, le sport a ses règles, la religion a ses commandements.

Simplement essayons de vivre ensemble.

Ensemble mais différents, différents mais ensemble.

Début damné 2015
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18 octobre 2013 5 18 /10 /octobre /2013 11:10

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Samedi 21 septembre 2013, à huit heures du matin précise comme on  me l’avait recommandé au bureau de vente, je parcours le port de Bata à la recherche du quai de stationnement du Djibloho. Je suis quelques voitures surchargées de passagers et de marchandises et j’arrive au pied d’un vieux cargo gris, passablement rouillé où se presse une foule déjà nombreuse.

 Vers  9 heures, par l’arrière du bateau, on embarque les premiers véhicules sur une passerelle assez raide où s’essoufflent  la plupart des voitures. Parvenues sur le pont, deux barres métalliques  reliées à des câbles sont insérées sous la caisse,  les voitures sont alors soulevées par une grue puis déposées sans grande délicatesse par une ouverture  à fond de cale.

 C’est mon tour. Le responsable des opérations vient me voir. Manny est trop haute ou trop lourde, bref on ne pourra pas la descendre dans la cale, elle montera en dernier et restera sur le pont.  C’est parfait pour moi. Toutes les voitures ont été placées, on referme l’ouverture avec une grosse plaque métallique. Le préposé revient pour que je lui laisse les clés de ma voiture, c’est lui qui est chargé de conduire les véhicules sur la passerelle. Vu ses prestations précédentes, je refuse, personne ne conduit Manny à part moi. Il n’insiste pas.

 

A 10h30, les passagers montent à leur tour.  Valises, sacs, cartons, paniers, bidons, matelas, ventilateurs, armoires, congélateurs, baluchons, légumes, bananes, manioc une foule bigarrée coiffée de toutes sortes de marchandises défile sans interruption. Certains se dirigent  vers l’avant ou sur les passages surélevés des côtés, d’autres se font une place sur le pont arrière. On installe des bâches, des pagnes ou des tapis pour s’asseoir. Très vite la foule devient trop dense et il n’est plus possible d’espérer s’allonger.

 Un village se reconstitue sur le pont du Djibloho. Les familles se regroupent, des cercles se forment, les vendeuses s’alignent.  Elles proposent des sandwichs ( choix entre salami et salami), des légumes, du vin de palme, toutes sortes de boissons sucrées et la san miguel, bière locale, des biscuits, des arachides, des sardines, du poisson séché.    La procession continue, on se serre. Manny est bientôt investie,  les valises et sacs s’empilent sur son flanc droit, de l’autre côté elle fait office de dossier, certains s’installent au-dessous pour profiter de l’ombre du châssis, d’autres  sur la galerie du toit.

                Manny est la seule voiture sur le pont et je suis le seul blanc au milieu de cette multitude. Combien sont déjà à bord ?  Première estimation, environ un millier. Et le flux est incessant.    Le même préposé m’avait demandé les clés pour garder la voiture afin que je puisse regagner ma « cabine ». Je lui ai répondu que finalement j’allais dormir dans ma voiture et garder les clés.

Le soleil est déjà haut. On se protège comme on peut, foulards, casquettes, bonnets, parasols pour les plus équipés. Un homme est dubitatif au milieu des autres, avec son canapé 3 places en équilibre sur sa tête. Il n’y a aucune place disponible et s’il le mettait à disposition de la foule, il n’en resterait que des morceaux de bois et de tissus à la fin du voyage. Alors il me demande s’il peut le déposer à l’envers sur le capot de la voiture. Je ne suis pas en position de refuser. Bientôt viendra se surajouter un matelas, quelques valises et 4 jeunes garçons trop heureux de profiter de cet observatoire. On s’agite beaucoup sur le toit, ils doivent être une dizaine maintenant.  Le défilé se prolonge au ralenti, la foule est tellement dense qu’il est difficile pour les derniers arrivants de progresser.

Hier soir à l’hôtel  je regardais par hasard à la télévision un film ( « La pirogue ») qui racontait l’histoire d’un groupe d’ africains qui, partis du Sénégal sur une de ces grandes pirogues tentaient l’émigration vers l’Europe. Notre bateau est bien sûr beaucoup plus grand mais ce voyage me permettra de comprendre toutes les vicissitudes  d’une telle expédition et tout le courage de ces migrants. Je comprends mieux  maintenant  la recommandation de la dame qui m’a vendu le billet et qui me conseillait de mettre la voiture sur le bateau et de prendre moi-même l’avion.

 

13H15 : je m’aperçois que nous avons quitté le quai. Je n’ai ressenti aucune secousse signifiant le départ, la mer est calme, nous avançons tellement lentement que j’ai mis un long moment à réaliser que les bâtiments du port s’éloignaient. Le soleil est au plus haut,  la chaleur écrasante et aucune brise ne rafraîchit l’atmosphère.  Ceux qui le peuvent s’agglutinent dans les rares zones d’ombre.  Certains sombrent dans la torpeur, le corps a demi-assis reposant sur un autre corps. Les habituées des crèmes éclaircissantes rôtissent, rosissent, rissolent sous le feu du ciel.  Les mamans protègent leur bébé en les recouvrant d’un bout de pagne. D’autres s’abritent sous un  morceau de carton. Les corps affaissés s’emmêlent, magmas de mamans et d’enfants. Mais les rires et les commentaires bruyants fusent toujours.                         

  On est tous sur le même bateau.

L’expérience se transforme en épreuve. L’attente, l’inactivité, la chaleur, le roulis. Mais ces légers désagréments pour moi qui suis quand même relativement bien installé sur le siège avant de ma voiture se transforment en admiration pour leur stoïcisme, leur résignation, leur endurance. Même les enfants supportent, peu de pleurs, ils apprennent la patience, l’acceptation de l’état de fait. Ils partagent eux aussi  le jeu de la vie des grands.                                                                                              

Vers 18 heures, le soleil se cache enfin derrière une couche nuageuse, et cette clémence soulage et revigore  les corps.                                                                                                                                                  

Je suis parvenu moi aussi à un état de renoncement où il ne sert plus à rien de calculer, de m’inquiéter de la torsion de  mes essuie-glaces,  de l’écrasement  des amortisseurs, des humiliations faites à la tôlerie, d’être sur mes gardes face à cette prolifération humaine.

Je suis là et l’absence de possibilité de fuite a au final quelque chose d’apaisant.   

Des effluves nauséabondes  portées par la légère brise du soir me parviennent maintenant.  Les ASEO ( toilettes), 3 cages métalliques sans lumière et sans eau sont à quelques mètres devant la voiture. Car toute cette surpopulation doit naturellement se soulager et je dois bientôt songer à accomplir moi-même ce rituel. Je calcule qu’il faut y aller avant la nuit et que je ne m’y rendrai qu’une seule fois au cours du voyage.               A 18 heures 30, je tente une sortie, j' enjambe les marchandises et les personnes et parvient au seuil des toilettes. L’odeur et l’état des lieux sont repoussants.                   J’hésite mais je ne suis pas le seul. Les gamins autour de moi se marrent. Une maman s’indigne : on nous traite comme des animaux. Mais je n’ai pas le choix, la nature a ses exigences mais je me promets de ne plus boire une seule goutte d’eau jusqu’au débarquement.

La nuit tombe et adoucit les épidermes. Un gros projecteur et deux petits lampadaires annexes éclairent le pont. Par moment, une vague un peu plus forte fait tanguer légèrement le bateau mais la mer reste globalement très calme. Je me remémore tout à coup l’histoire de ce ferry, le Joola, qui faisait le trajet entre la Casamance et Dakar au Sénégal et qui a coulé en 2002 faisant plus de 2000 victimes. Il était surchargé lui aussi mais la mer était forte et le bateau mal équilibré. J’imagine notre voyage dans des conditions météorologiques différentes, par forte houle, pluie ou vent. Je n’ai vu ni canot, ni gilet de sauvetage.

 

                                                          Je me suis allongé à l’arrière de la voiture, somnolent au milieu des derniers cris et des derniers rires. Soudain l’agitation reprend, il est 23 heures et la pluie commence à tomber. Chacun tente de s’abriter comme il peut et use des mêmes artifices bâches, parasols, pagnes, sacs poubelles.  De jeunes garçons s’énervent et frappent à la porte.  Il ne faudrait pas que la situation se prolonge trop longtemps. J’applique le principe fondamental de toute bonne administration que j’ai découvert ces dernières années :  il n’y a pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre. Et ça marche :  au bout de trente minutes, salués par des cris de joies,  les cieux se tarissent. L’ondée fut passagère comme nous. Mais le calme ne revient pas pour autant. Je découvre à cette occasion que les églises éveillées du Gabon ont des ramifications en Guinée équatoriale. En effet, dès les premières gouttes, j’avais entraperçu au travers du remue-ménage provoqué par l’intempérie les prières bruyantes de ses adeptes. Et maintenant c’est la litanie scandée le plus bruyamment possible des alléluia-amen-le fils de Dieu je le connais - qui nous maintiendra éveillés pendant un long moment.

 

A 5 heures, les premières lumières de l’île de Bioko apparaissent. Nous longeons la face Est  jusqu’au port de Malabo. La forêt recouvre entièrement les flancs de cette île volcanique que j’aperçois pour la première fois vue de la mer. Les nuages en voilent les sommets mais le soleil refait son apparition. Je parviens difficilement à ouvrir la portière où s’adossait  une grosse mama. Les gens me saluent : «  Buenos dias » . Aucune animosité ou amertume n’est perceptible envers ce blanc qui a passé la nuit confortablement couché dans sa voiture. On arrive en vue des quais mais la manœuvre semble un peu compliquée et je commence à comprendre que si nous avancions aussi lentement, c’est que probablement tous les moteurs ne fonctionnaient pas correctement.                                                                                   

 A 8h30 on accoste enfin. Une pluie fine nous accueille et rend le pont glissant. Le préposé qui m’avait accueilli au départ me rejoint tout joyeux et s’esclaffe en apprenant que j’ai passé la nuit sur le pont. Je l’interroge sur le nombre de passagers approximatif du bateau. «  Il y en avait partout » me répond-il. « Sur tous les ponts, les bastingages, les escaliers, les cabines, les couloirs. On était au moins trois mille ». Il me propose de descendre la voiture avec l’aide de la grue car la passerelle arrière très raide est devenue très glissante. Je le rassure, en quatre roues motrices, il n’y aura pas de problème.                                                                             

 Après 19 heures de traversée et plus de 24 heures passées sur le Djibloho, je touche sans encombre la terre ferme. Je traverse ensuite le tout nouveau port, entièrement bétonné, rejoint la double voie qui mène à l’aéroport, je passe devant l’Ambassade de France, encore 500 mètres et je retrouve le lotissement de la mission de coopération et mon logement.

C’était pas si compliqué.

Le Djibloho
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7 octobre 2013 1 07 /10 /octobre /2013 22:49

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Après tout un été passé en France, sas de reconditionnement imprévu mais en définitive opportun, je gagne enfin Malabo, capitale de la Guinée équatoriale sur l'île de Bioko. Il me faut cependant rejoindre Lambaréné où j'ai laissé mes quelques affaires et ma voiture. Et c'est avec cette impression de retour à la maison, sentiment étrange de familiarité que je ressens à chaque fois que je pose le pied au Gabon, que je me retrouve ce vendredi 13 septembre 2013 à l'aéroport de Libreville. L’accorte jeune femme qui contrôle mes papiers me demande derrière sa vitre avec un joli sourire si j’ai fait un bon voyage. Il en faut parfois vraiment peu pour être heureux. Vous en connaissez beaucoup des pays où l'on vous accueille comme ça !

C’est avec le cœur au beau fixe que je me replonge dans Libreville et son bord de mer.

Le lendemain, au PK8, je prends un clando pour Lambaréné. La route jusqu’à Kango est en travaux, il était temps car elle était devenue vraiment impraticable. Je franchis pour la première fois le nouveau pont de Kango. La traversée du fleuve Komo se faisait sur un bac, une barge ayant heurté et fragilisé un des piliers du pont. Après 4 heures de route, le chauffeur me dépose au carrefour Schweitzer, je ferai le dernier kilomètre à pied.

Je me souviens de mon arrivée ici le 02 mai 2009 après toute une traversée en voiture de l’Afrique de l’ouest.

Je devais rester 4 mois, j’y suis resté 4 ans. A la barrière de l’hôpital les gardiens m’accueillent joyeusement : «  Ah vous voilà docteur, bonne arrivée, la pédiatrie était orpheline de vous ! ».

Merci les gars mais je ne reste pas longtemps.


 

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La rue principale est maintenant bétonnée et les bâtiments principaux ont été repeints, seuls bénéfices résiduels apparents des festivités du centenaire en juillet 2013. On me hèle, on m’interpelle, on me happe et je mettrai 2 heures à rejoindre mon futur ex-domicile. Je pose enfin mon sac et mon premier réflexe est d’aller sur la terrasse, lieu de vie, lieu de culte au fleuve Ogooué. Mon Ogooué ! Qu’on ne se méprenne pas : il n’y a aucune revendication ou nostalgie colonisatrice dans cette exclamation. Je dis « mon Ogooué» comme on dit  « mon amour », ce n’est pas lui qui m’appartient, c’est moi qui lui appartient. Il a irrigué mes années à Lambaréné, il a drainé mes émotions, j’ai parcouru cette artère et ses affluents avec mon globule rouge ( c’est ainsi que j’avais baptisé mon kayak) à maintes reprises.


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La saison sèche touche à sa fin. Le fleuve est au plus bas et les bancs de sable comme chaque année peignent des aquarelles impressionnistes sur son lit. On a brûlé les herbes partout où c’était possible pour rafraîchir la végétation et préparer le terrain des plantations. Ce doit être la saison des amours chez les calaos qui s’égosillent sur les fromagers dépouillés en lançant leurs gros becs vers le ciel. Je vivais au milieu d’une volière, à hauteur de feuillage des cocotiers, manguiers, fromagers, pamplemoussier où venaient s’ébattre martins-pêcheurs au plumage bleu électrique et au cri tout aussi électrique, tisserins dont les nids sont si particuliers, cougals au chant reconnaissable à des lieux à la ronde, pigeon vert, pique-bœufs, piverts. Un couple de vautours palmistes avaient élu domicile dans un des fromagers pendant quelque temps. Des pélicans passaient parfois au loin. J’ai pu filmer pendant quelques secondes un oiseau gigantesque, comme une espèce d’aigle, accroché ailes déployées à un cocotier. Le soir les chauve-souris envahissaient les frondaisons et les roussettes claquaient leurs cris sonores et lugubres. Ce paysage et sa faune était mon théâtre quotidien, mon décor, ma télévision, ma galerie, mon atmosphère, ma source, mon inspiration, mon utopie. Souvent des blancs de passage m’ont demandé si je ne m’ennuyais pas trop ici.

Je leur disais non, ça va.

C’eut été trop long ou trop difficile de leur expliquer.

 

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Et je pense à vous aussi bien sûr, vous toutes et tous que j’ai croisés ici, qui sont restés quelques mois ou quelques années, qui restent encore là, celles et ceux avec qui j’ai travaillé à l’hôpital ou au laboratoire de recherche, avec qui j’ai mangé au réfectoire ou dans les maquis d’Isaac ou d’Adouma, aux anniversaires et aux fêtes quand Manny emmenait parfois les derniers noctambules  vers l’Oguegueni.


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Je pense à ma chère pédiatrie où j’ai vécu les moments les plus intenses qu’un médecin puisse espérer.

 

 

 

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Après l’effusion des retrouvailles vient déjà le temps des au revoir, pas des adieux, car en Afrique la mort fait partie de la vie, on sait que la séparation est momentanée et qu’on se retrouvera plus tard, et que même si on ne se revoit pas, le souvenir vivra toujours. Alors pas de tristesse même si en franchissant pour la dernière fois la barrière de l’hôpital j’ai la gorge qui se serre un peu.

 

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Je prends la direction de Bifoun vers le nord et chaque village traversée me rappelle un épisode de ces années, le point de départ d’une piste vers le lac Déguélé, au carrefour banane à Kougouleu vers le lac Azingo, plus loin la rivière Adanhé,les dispensaires au bord de la route, le fou hilare de Nkoghe Mboum qui assis sur son banc salue d’un geste de la main toutes les voitures qui passent, le carrefour vers Makouké et sa plantation de palmiers à huile. A Bifoun au lieu de prendre l’habituelle direction de Libreville je bifurque à droite vers Ndjolé. La route par endroit longe les rapides de l’Ogouéé. Des îlots de sable et de gros rochers détournent le cours du fleuve à son plus bas niveau. Des points de vue magnifiques se dégagent et je m’imagine le parcourir sur cette portion en kayak….un peu plus tard.

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Je repasse dans l’hémisphère nord, retrouve ensuite la bifurcation de Larara qui conduit vers l’Est à Makokou, le fleuve Ivindo et les chutes de Kongou, toujours menacées.

 

 

 

 

 

 

 

 

La nuit tombe et je décide de m’arrêter à Mitzic dans un petit hôtel au bord de la route. Il y a de la place, l’hôtel est propre, je retourne à la voiture pour la garer dans le parking de l’hôtel mais elle refuse de démarrer. J’ai depuis longtemps des intermittences au niveau d’une des batteries ( Manny a besoin de 24 volts et donc de 2 batteries de 12 V pour alimenter son gros moteur). La borne positive s’est dégradée et a fondu en partie ce qui entraîne un mauvais contact au niveau de la cosse. Heureusement, la voiture est en pente, on pousse un peu et ça démarre.

Je repars tôt le lendemain en direction d’Oyem dernière ville avant la frontière. La charge de la batterie est encore bonne mais pour éviter tout problème malvenu à la frontière ou sur le bateau, je décide de la remplacer.J’avise une boutique de pièces détachées automobiles où j’explique mon cas. Un des jeunes mécaniciens m'assure que son frère peut arranger la batterie et nous voilà partis vers un de ces petits ateliers en tôles ondulées qui jalonnent les routes où le génie africain exprime toute son inventivité. Pas de problème, bien sûr il fait ça souvent, il peut me refaire une borne de batterie. Il la dépose sur un vieux tonneau, la branche sur une autre batterie , encercle la borne d’un moule métallique lui-même isolé par un vieux morceau de tissu. Il dépèce ensuite une grosse pile 1.5V, en récupère l’axe centrale en plomb qu’il commence à faire fondre au chalumeau dans le moule. Epaté par son ingénieux protocole, je me lève pour aller chercher mon appareil photo dans la voiture garée à une dizaine de mètres.

J’ai la main sur la portière quand retentit une violente détonation suivie d’un cri. Coup de feu ? Pneu éclaté ? Bouteille de gaz ? Je me retourne et aussitôt me précipite. La batterie a explosé ! Le gars se tient le visage en hurlant, on l’asperge d’eau, on remplit un seau d’eau pour qu’il puisse s’immerger la tête totalement. Après de longues minutes de rinçage je peux enfin l’examiner : il a reçu de l’acide sur les bras, le visage. Les yeux sont rouges, mais il voit. Les brûlures ne semblent pas trop profondes. Par chance, la batterie a explosé sur le côté et elle est béante à cet endroit. C’est le vieux siège de voiture posé en regard qui a pris la plus grosse partie de la projection d’acide ……siège où j’étais assis quelques minutes auparavant. Si je n’avais eu l’idée de prendre une photo, mon voyage s’arrêtait là dans de douloureuses conditions.

Je recommande à l’entourage ( un attroupement s’est rapidement constitué autour de nous) de continuer à l’arroser et le baigner pendant que nous allons avec son frère chercher un collyre dans une pharmacie. De retour je l’examine à nouveau. Le rinçage immédiat, abondant et prolongé semble avoir fait son effet. Il souffre encore un peu mais ne devrait pas garder de séquelles. J’explique à un autre grand frère comment mettre les gouttes antibiotiques. Je ne peux rien faire d’autre pour lui et je repars…chercher une nouvelle batterie.

 

Oyem et Mongomo sont distants d’une trentaine de kilomètres. Un premier barrage de douane me réclame mon passavant. Je n’en ai pas. Alors il faut retourner à Oyem en chercher un …à moins qu’il ne nous en reste un exemplaire ici. On va voir. Il reste un exemplaire, vous avez de la chance. Yolande, viens ici !

Yolande est assise dans un fauteuil, sur la terrasse à l’autre bout du bâtiment.

Rien ne sert de courir et tout vient à point à qui sait attendre.

Il faut dire que Yolande est un peu enrobée, c’est le cas de le dire car elle a du mal à déployer ses formes dans sa robe trop ajustée. Enfin elle s’assoit et je souffre pour les coutures du pagne.

Il faut d’abord trouver un stylo, que je lui tends, l’expérience m’ayant déjà démontré par le passé que cet accessoire s’avère souvent utile dans certaines administrations. Yolande est stagiaire, elle est là pour trois mois et c’est la première fois qu’elle remplit ce formulaire. Alors on va le faire ensemble.

On discute. Elle vient de Mouila. Je lui demande si elle ne s’ennuie pas un peu ici, à ce barrage perdu au milieu de la forêt équatoriale, sur cette piste peu fréquentée. Non ça va, on est là. Elle me sourit, l’œil pétillant. Je souris aussi. Le formulaire se remplit lentement. A chaque question compliquée, type de véhicule ou numéro d’immatriculation par exemple, elle minaude, je minaude, nous minaudons. Gratuitement. Juste pour le plaisir, comme à l'aéroport, autant que tout se passe dans la joie et la bonne humeur.

La dernière case de la dernière ligne est enfin remplie.

Je peux partir.

Merci Yolande.

 

Nouveau barrage un peu plus loin.

Police nationale, vos documents s’il vous plaît.

Il manque le contrôle technique. C'est-à-dire que comme je rentre de congé, que le contrôle technique était périmé mais que je pars en Guinée, je n’ai pas eu le temps de le faire.

Ah ça ! On va encore faire comment ? Je dois en référer à mon chef.

Le chef est au téléphone, le dos tourné, un peu plus loin.

-  Vous comprenez ma situation, vraiment, je suis toujours en règle mais là je ne pouvais pas faire  le contrôle.

-  Vous voulez que je vous laisse partir comme ça hein, c'est ça que vous voulez ?

-  Ecoutez, ça serait bien oui.

-  Vous êtes médecin à l’hôpital Schweitzer ?

-  Oui depuis quatre ans.

-  Je suis de Lambaréné. Je viens de Grand Village ( un quartier de Lambaréné). Je suis né à Schweitzer.

 

Alors on parle du quartier.

 

Le chef a fini de téléphoner, il s’approche.

-  Tout va bien ?

-  Oui, tout est en ordre. Bon, allez-y.

-  Merci.

 

Je le salue, redémarre.

Merci Schweitzer.

 

Je parviens à la dernière étape, la frontière côté gabonais. Nouveaux formulaires, questions habituelles, accueil courtois, sourires et encore bonne humeur.

Vous allez me prendre pour un gentil fada, un illuminé, un ababa, qui veut vous faire croire que le Gabon est le pays des bisounours, de belle des champs et de la flûte enchantée.

Heureusement il reste le dernier bureau avant la dernière barrière, celui où règne plein de morgue et de suffisance le tout puissant officier de l’immigration qui décide péremptoirement de l’ouverture de la fameuse barrière.

Tous mes papiers sont en règle. Il les examine scrupuleusement, cherchant la faille.

-  Votre visa de sortie ?

-  J’ai une carte de séjour donc je n’ai pas besoin de visa de sortie.

-  Quand vous quittez le territoire il vous faut un visa de sortie.

-  Ecoutez, ça fait quatre ans que je sors et que je rentre dans le pays avec ma carte de séjour et on ne m’a jamais demandé de visa de sortie.

-  Et bien on aurait du. C’est une erreur. Il faut retourner à Libreville en chercher un, que vous aurez dans quelques jours ... si tout va bien.

 

Le mur du con.

 

Dans ces villages frontaliers, les familles de la même ethnie (fang) circulent d’un pays à l’autre avec un simple laissez-passer. On va faire ses courses à Mongomo, on revient voir ses parents à Abamebale. Se sachant incontournable, ce petit sous-fifre plénipotentiaire humilie, prélève, rackette.

Il est des moments dans la vie où l’on s’interroge brièvement sur le rétablissement de la peine de mort pour les enfoirés dans son genre. Il sourit de sa mauvaise foi. Il ment. Il le sait. Il sait que je le sais.

Mais cet abruti se recule dans son fauteuil et me dit : «  Et maintenant, on fait quoi ? »

Il m’a laissé ostensiblement assister au défilé des quémandeurs, des sans-papiers, des fraudeurs, sans se gêner pour fixer devant moi le prix de sa tolérance ou de ses faveurs. Il me faut juste un dernier coup de tampon sur un papier et je résiste à l’envie de lui mettre un coup de boule mais je crois que ça compliquerait beaucoup les choses. Mon regard de défi s’enfonce dans la fange de son cerveau spongieux.

Perte et profit. Je n’ai pas le choix. Je paie. Il tamponne. Je pars.

 

Un pont sur une petite rivière sépare les deux pays, une centaine de mètres et je suis de l’autre côté.

Me voilà à la frontière de ce pays un peu mystérieux, d’où filtrent peu de renseignements et qui alimentent donc bien des rumeurs et des fantasmes. On m’a prédit beaucoup de difficultés et recommandé la plus grande vigilance.

Les formalités de police sont rapides, courtoises. La douane, c’est un peu plus compliqué. Qu’est ce que je fais là ? Avec cette voiture ? Cela prend un peu de temps mais on fini par s’entendre. Première bonne surprise : beaucoup de gens parlent français. La Guinée équatoriale, ancienne colonie espagnole, a adhéré à la francophonie en 1998 et le français est reconnu comme seconde langue nationale.

Vient ensuite la fouille de la voiture, complète et méticuleuse.

Je perçois plus de curiosité que de suspicion. Qu’est ce qu’un blanc dans une voiture comme ça avec couchette, coffres, bidons d’eau, cantine sur le toit peut bien transporter ? Cette frontière n’est pas sur les itinéraires habituels des overlanders et je doute que nous soyons nombreux à l’avoir traversée. En général le trajet conduit directement du Cameroun au nord vers le Gabon au sud et ce petit pays enclavé entre ses deux grands voisins est généralement ignoré. Mais tout se fait dans dans la bonne humeur ( ben oui, c'est pas de ma faute).

Au cours de la fouille, une avenante douanière négocie une précieuse boîte de cassoulet que j’avais achetée à Lambaréné ( un bidon d’eau, un paquet de biscuits, une boîte de cassoulet, une moustiquaire, un rouleau de PQ avec ça je peux aller au bout du monde). Le marchandage dure pendant toute la procédure. Je lui dis que je ne peux lui donner la boîte car je n’ai pas de femme à la maison pour me faire à manger et que ce cassoulet sera mon prochain repas. D’accord, alors elle vient avec moi et on va la manger ensemble. J’aurais bien aimé mais ça va pas être possible. Bon alors donnes moi ton numéro de téléphone. Malheureusement je n’ai pas encore de téléphone équato. Sacs, cartons, coffres, la visite continue. J’ouvre ma caisse de bouquins.

-  C’est quoi tous ces livres ?

-  Je suis médecin donc j’ai besoin de livres de médecine et puis j’aime lire.

-  Et le gros là c’est quoi ?

-  C’est mon dictionnaire français, je l’emmène partout avec moi.

-  J’ai besoin de ça, je veux parler mieux le français.

-  Ah toi tu veux me dépouiller. Non mon dictionnaire il ne me quitte pas depuis des années, je l'emmène partout avec moi, c’est sentimental.

 

Là, je crois qu'elle m'a pris pour un maboul.

 

La fouille terminée, en apparence contraint et faussement attristé, je cède enfin. En réalité jamais boîte de cassoulet n’aura fait l’objet d’un si plaisant commerce et j’aurais eu mauvais cœur de ne pas laisser un cadeau à une douanière équatoriale aussi friande d'haricots, de saucisses et de jolis mots français.


Je découvre Mongomo, ville nouvelle dont est originaire le Président, qui s'est développée en quelques années.

Les routes sont parfaites, des immeubles commerciaux ou administratifs, de belles villas voir des palais ont poussé un peu partout. Une superbe rocade deux fois quatre voies mène à l’autoroute en construction qui traversera la zone continentale du pays appelé le RIO MUNI. Je prendrai la route nationale qui en trois heures doit me conduire à Bata, capitale économique. J’ai pris du retard et je ne dois pas traîner si je veux arriver avant la nuit. La route nationale est en très bon état, les barrages se passent sans encombre, j’embarque à l’un d’eux à la demande d’un policier une jeune femme en fin de grossesse qui doit aller accoucher chez sa mère à Bata. J’arrive au bord de mer alors que le soleil s’est couché depuis un bon moment. Je passe devant le centre culturel français, le centre culturel espagnol, quelques commerces et restaurants aux néons avantageux, l’hôtel Ibis. La promenade du bord de mer est bien éclairée par de multiples lampadaires, des jeunes font du roller, d’autres discutent en groupe, des couples se promènent ou s’assoient sur les bancs, certains sont accoudés sur la rambarde et regardent la mer.


Il ne me reste plus qu’à trouver un billet pour monter à bord du Djibloho.

 

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29 juin 2013 6 29 /06 /juin /2013 19:37
                                HAS

 

   ( PREMIER CHAPITRE  DE " SCHWEITZER : LE SIECLE D'APRES "

 

 

En 1913 un médecin blanc, alsacien, décide de créer un premier hôpital sur les rives de l'Ogooué à Lambaréné au Gabon. Mu par une idéologie religieuse il entreprend de soulager les souffrances provoquées par les innombrables maladies dont sont accablés les peuples indigènes. Schweitzer part de rien mais muni d'une grande ambition. Il crée un hôpital de brousse dont la notoriété dépassera bientôt les frontières du Moyen-Ogooué.

Mais la grande Histoire n'épargne pas la petite histoire de ce médecin. Une première guerre mondiale le fera prisonnier dans son propre pays, puis changer de nationalité. Une seconde perturbera la continuité de son hôpital. Heureusement les Nobel ne l'oublieront pas non plus. Il quittera ce monde quelques années plus tard laissant une œuvre, une pensée, un "esprit". Il aura parcouru les continents à la recherche de subsides et donné des concerts et des conférences pour financer son hôpital, écrit des livres, rencontrer les grands hommes de son époque.

 

 

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L'histoire de Schweitzer est aussi indissociable de l'histoire du Gabon. Le soleil de l'indépendance se lèvera sur ce pays en 1960. En 1967 le président Albert Bernard Bongo accède à la présidence pour un règne qui durera 42 ans. Le pays naît, grandit, connaît les soubresauts et les pulsions de l'adolescence avant d'accéder à la maturité.

 

Mai 2009 : 20 ans après je reviens au Gabon. IMGP0902

Juin 2009 : Le président Omar Bongo Ondimba décède..

Juillet 2009 : création de la CNAMGS, caisse d'assurance maladie.

Septembre 2009 : Ali Bongo Ondimba succède à son père, décrète l'émergence et la fin de la période postcoloniale.

17 aout 2010 : le Gabon fête ses cinquante ans d’indépendance.

Juin 2011 : un cercueil symbolique trône à l'entrée de l'Hôpital Schweitzer.

Contrainte et forcée, l'équipe dirigeante française quitte l'administration de l'Hôpital.

Février 2012 : Un directeur général gabonais est nommé.

 

2013 : centenaire de l'Hôpital.

 

Ce récit a pour modeste objectif de raconter au travers d’anecdotes le vécu d’un médecin européen dans les dernières années précédant la commémoration du premier siècle de l’hôpital Schweitzer.

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                      POURQUOI ?

 

 

 

 

Telle est la question souvent posée.

Pourquoi encore un hôpital Schweitzer en 2013 ?

 

 

Cet hôpital n'est ni un hôpital public, ni un hôpital privé. IMGP0879

Ou les deux à la fois.

C'est un modèle expérimental. Né de la volonté ou de l'utopie d'un homme, avec les ressources, les circonstances, les maladies de son époque. Il l'a fait évoluer, grandir, il l'a déplacé, il a cherché des solutions, il a innové en permanence, accompagnant les mutations du siècle.

Ce n'est pas un modèle fini. Le monde a changé, le Gabon a changé, les besoins ont changé, les maladies ont changé, les mentalités ont changé, les financements ont changé.

L'hôpital Schweitzer n'est plus un havre basé uniquement sur des principes religieux, charitables, humanitaires. Il a du s'intégrer à son environnement, s'adapter aux exigences des malades et du personnel, se plier aux contraintes économiques du cout de la santé et administratives de l'état souverain.

 

 

Mais il n'est pas encore un hôpital comme les autres et ne doit pas le devenir. Il est toujours le porte-flambeau de l'intention originelle de la médecine qui est de soulager les souffrances quels que soient les origines, le milieu social, la race ou la religion. Il est une autre voie, ne rejetant pas les modèles existants mais toujours à la recherche du juste équilibre entre l'économie et l'humain, entre sa vocation et ses contraintes, ce qu'on appelle tout simplement le sens. Il n'est pas un avatar d'une époque archaïque révolue mais au contraire toujours un modèle expérimental précurseur qui teste des solutions et inspire des vocations.

L'hôpital Schweitzer est un exemple d'hôpital intégré. Tous les habitants du Moyen-Ogooué ont un membre de leur famille qui est né, qui a été soigné ou qui travaille à l'Hôpital Schweitzer. Il s'est adapté aux particularités sanitaires de son environnement, il a su répondre à l'évolution des épidémies, aux contraintes géographiques de la forêt, du fleuve et des lacs. Et son aura dépasse encore en 2013 les frontières du Moyen-Ogooué, preuve en est son recrutement qui va de Libreville à Oyem, de Tchibanga à Koula-Moutou.

 

L'HAS est un hôpital international qui est une autre de ses originalités.

C'est une richesse. Les gabonais doivent en avoir conscience.

Et s'il faut gaboniser les postes, qu'on se rassure : toutes les infirmières et tous les médecins étrangers de Schweitzer sont gabonisés depuis longtemps.

 

L'hôpital traverse une crise existentielle, financière et politique.

Puisse t-il conserver son identité tout en se remettant en question, rester au service de la population la plus humble et la plus démunie en trouvant les ressources comptables de sa survie et se recentrer sur ses missions à l'écart des luttes d'influence et de pouvoir.

 

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7 avril 2013 7 07 /04 /avril /2013 17:52

 

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Jeudi 28 mars 2013 : week-end pascal.

 

Premier jour :

 

Je profite de ce pont pour passer sous celui de l'Ogooué à Lambaréné.

Il est huit heures. J'ai mis mon kayak à l'eau au petit débarcadère en bas de chez moi, chargé le léger matériel de camping et le ravitaillement et me voilà parti direction Port-Gentil.

Nous sommes en pleine saison des pluies, je n'ai pas de carte précise mais le courant devrait me conduire de toute façon jusqu'à l'océan. Normalement en trois jours je pense que c'est faisable, je m'en donne un quatrième de sécurité pour reprendre la navette du lundi à Port-Gentil qui me ramènera à Lambaréné.

 

Il me faut une heure environ pour vraiment quitter Lambaréné, l'hôpital Schweitzer, Saint François, le pont d'Isaac, matériau, SIAT à gauche, Bordamur à droite, les bruits et les cris s'estompent, je pénètre avec déférence et confiance dans le couloir de l'Ogooué. Un premier village sur la gauche apparaît avec son mât au drapeau gabonais, quelques cases, des enfants courent sur la rive. Comment s'appelle ce village ?  J'aimerais bien le nommer, donner une appellation à cet endroit où l'on me salue de loin..

 Est-ce que cela a vraiment une importance? Je me rends compte que je ne suis pas encore assez loin de la civilisation, le besoin d'identification est toujours présent. C'est juste un gentil village, ça suffit.

Moi aussi j'agite la main. On l'appellera sans-nom, comme le poisson du même nom.

 

Premiers singes, premiers perroquets, ils m'accompagneront tout le long de mon parcours.

Plus loin, à l'ancien débarcadère maurel-prom, une maman fait sa lessive entourée de ses enfants. Elle m'interpelle de loin :

-" Vous allez où?

- Port-Gentil.

- Quoi ??? Venez parler. Je veux des renseignements.

- Maman, je ne peux pas, je dois avancer.

- Allons venez, je suis seule, c'est juste pour parler.

- A mon retour, bonne journée maman.

 

Il faut deux heures depuis Lambaréné pour atteindre le carrefour qui mène à gauche au lac Evaro, à droite l'Ogooué continue son chemin. Un plus gros village marque le lieu. Il semble vide, les habitants doivent être à la plantation ou à la pêche. Un vieux papa veille à l'ombre d'un manguier. Je lui demande de me confirmer la direction :

- " Vous allez où ?

Pour éviter trop de questions, je préfère donner l'étape suivante.

- Ngomo.

- Et vous vous arrêtez à Ngomo ? me demande t-il dubitatif.

- Non en fait je vais jusqu'à Port-Gentil.

- Ah ça ! Oui c'est bien par là."

Je m'éloigne du rivage quand j'entends une autre voix plus inquisitrice qui crie:

- " C'est qui ?

- C'est Schweitzer !"

Il m'arrive en cas de force majeure d'user de la notoriété de l'hôpital Schweitzer pour amadouer certains fonctionnaires de la maréchaussée un peu trop zélés lors de contrôles routiers un peu trop pointilleux ou pour m'attirer la bienveillance de villageois méfiants lors de mes expéditions en brousse. En général pour signifier que l'on travaille à l'hôpital Schweitzer, on déclare simplement :

" c'est Schweitzer" , ce que je fis donc avec cette vieille maman.

-  Ohh !"

Dans le silence qui suivit cette exclamation, je perçus la perplexité cosmique d'un cerveau peut-être un peu embrouillé par le temps ( ...il est revenu !!??)

 

Je longe une falaise végétale, le courant me porte et m'autorise quelques petites pauses. Les gabonais sont très accueillants mais les riverains visiblement intrigués par mon périple. Je suis le visiteur mais c'est moi l'objet de curiosité. Faute de temps, je ne pourrais répondre à toutes les sollicitations. Je salue de loin en évitant la proximité des rivages occupés. Pour la première journée, j'avais prévu d'arriver au moins jusqu'à Ngomo  et j'y suis déjà vers 14 heures. Le village de Ngomo, sa mission et sa célèbre église constitue le dernier repère de mon terra cognita en aval de l'Ogooué. C'est un carrefour important vers les lacs du sud. Je suis satisfait de ma progression, à cette allure peut-être pourrais-je dormir à Atchouka ce soir !

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A 17 heures je ne vois toujours pas de village important et il serait peut-être temps que je me préoccupe de mon couchage pour la nuit. Au loin un campement isolé est joliment situé près d'un gros manguier et entouré de plantations de bananes. Je m'approche, il a l'air inoccupé. Je hisse le kayak hors de l'eau. L'endroit est parfait. Je ne dérange que les nombreux moustacs qui peuplent les arbres environnants. Les perroquets commentent de leurs cris nasillards mon arrivée, les calaos hésitent sur la marche à suivre. Je déballe ma tente. Aïe ! frasques et fracas ! je me perds en invectives. Les arceaux nécessaires au montage sont absents. La porte de la case est fermée à clé mais un auvent salutaire abrite un vieux banc de bois. J'ai heureusement, dans une fulgurance prémonitoire, emmené une moustiquaire légère qui tient dans une petite poche. Je l'accroche à la taule, le ciel est dégagé, cela devrait suffire pour la nuit.

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Deuxième jour :

 

La nuit a été calme, un peu fraîche au petit matin.  J'ai longtemps regardé le scintillement de l'eau et interrogé les ombres de la forêt. Le soleil se lève à l'est, la pleine lune est encore présente à l'ouest. A 7h15 je salue une dernière fois ce petit havre qui a si courtoisement abrité mes divagations nocturnes.

 

 

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J'ai de la chance pour une saison des pluies, le temps est clément jusqu'à présent. Des touracos géants sautillent de branches en branches jusqu'au sommet de l'arbre pour s'élancer en planant jusqu'à l'arbre suivant. Ce sont de magnifiques oiseaux  au plumage bleuté, coiffés d'une belle huppe noire qui les identifie rapidement. C'est pour moi un signe de chance car on ne les voit pas si facilement en forêt.

Il faut faire confiance aux signes.

 

La forêt devient plus clairsemée et alterne avec d’immenses plaines de papyrus. Les villages et campements se font aussi plus rares. Je croise à nouveau des pêcheurs qui veulent m’inviter au village mais je reste à distance. Les passagers d’un gros hors-bord me hèlent de loin. Je n’ai toujours pas vu Atchouka, bizarre. Logiquement je devrais l’avoir déjà dépassé. Je suis maintenant sur la rive gauche de l’Ogooué. Sur un joli banc de sable cohabitent un rassemblement de sternes caspiennes, de pélicans, un grand cormoran se tient un peu à l’écart de leurs jacasseries, un anhinga s’envole à mon approche. Je navigue le plus souvent sur les bords du fleuve où le courant est plus favorable et le spectacle plus varié mais sur les grandes boucles je suis contraint de traverser celui-ci sur de grandes étendues pour raccourcir ma trajectoire.

 

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Le soleil monte, monte...et finit par me tomber dessus. Je suis couvert des poignets aux chevilles, casquetté, lunetté, crémé mais il s'acharne, soleil-roi, triomphant sur son trône équatorial. Il m'humilie, je me fonds en excuses; il m'écrase, je m'aplatis. Le dos de la main droite me cuit : pour bien me faire comprendre la leçon, il m'y a donné un bon coup de rayon. La couverture plastique du kayak est brûlante, je l'asperge régulièrement avec un peu d'eau. Vers midi, je m'abrite sous le couvert salvateur d'un bouquet de bambous. Je ne peux mettre pied à terre mais la douceur de l’ombre me procure un peu de répit. Ma bouteille d’eau est vide. Il ne faut pas espérer une source limpide dans les environs. Tant pis, je la plonge dans le fleuve et la remplit d’un liquide trouble. J’y ajoute une pastille désinfectante, il ne me reste plus qu’à attendre les deux heures réglementaires pour qu’elle fasse son effet.

 

Il me faut repartir et aussitôt la chape fondue s’abat sur moi. C’est l’heure dévastatrice. Même les perroquets si bavards et les singes cabrioleurs se sont tus. J’adapte mon rythme en fixant l’horizon du prochain méandre, je me redresse et d’un geste volontaire attaque avec détermination chaque coup de pagaie. C’est l’heure de l’effort cuisant, de l’application obstinée. J’éloigne mon esprit de l’instant, me remémore d’autres voyages, échafaude d’autres projets. Le mouvement des bras  passe en mode automatique. Mes pensées dérivent avec le courant, mes tensions  s’évaporent, mes crispations se diluent au fil de l’eau. Un nuage bienfaiteur me comble quelques instants. Je me retourne. C’est en fait tout le ciel vers le sud qui s’est obscurcit. Un amoncellement orageux s’annonce à grands pas. Des bruits de tonnerre me parviennent au loin. Il n’est que quinze heures, je rechigne à abréger ma journée de navigation aussi tôt mais je n’ai pas vu d’abris depuis longtemps. Quinze minutes plus tard, au détour d’un nouveau massif de bambous, surgit un campement qui semble lui aussi désert.

C’est un signe. Il faut suivre les signes.

 

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Là aussi la végétation alentour s’agite sous l’effet désapprobateur des singes qui désavouent mon intrusion dans leur domaine privé. J’abrite le kayak sous l’indispensable manguier et fait le tour du propriétaire. Ici on pêche, on chasse, on fume au feu de bois poissons et gibiers. Un sentier s’enfonce dans la forêt. Il me mène à une bucolique petite rivière. Je rebrousse chemin et ai à peine le temps de porter mes affaires à l’abri à l’intérieur de la case que le ciel s’ouvre en gros bouillons. La porte était ouverte, je suis rentré. L’équipement est des plus sommaires : une table branlante, un lit avec moustiquaire trouée couvrant un matelas en mousse malodorant, une caisse de bière vide faisant office de siège. J’ôte mes lunettes de soleil pour celles de vue. Celles-ci sont troubles. Je les nettoie mais cela ne change rien. Elles étaient à l’abri dans un étui en dur dans une boîte étanche. Je les examine de plus près : je crois comprendre. Elles ont fondues ! le verre semble gondolé, sa matrice disloquée.

Le bruit des gouttes martelant la tôle du toit est assourdissant. Je m’installe contemplatif assis sur la caisse de bière, au seuil de mon palais. Un varan s’est mis à l’eau. Toutes sortes de branchages, noix de coco et autres débris défilent devant moi. Un énorme tronc d’arbre ( grume) se laisse aller. Il va rejoindre ses innombrables congénères qui jonchent les plages du Gabon du nord au sud.

 

Je m’estime à mi-chemin entre Lambaréné et Port-Gentil.

Je boirais bien une régab.

 

La tempête se calme un peu. Loin de l’autre côté du fleuve j’aperçois encore des éclairs.

Si le ciel fait bien sa lessive aujourd’hui, je devrais être tranquille pour les deux jours à venir et arriver à Port-Gentil pour la navette de lundi. L’accalmie est de courte durée.

On a bien savonné, maintenant on va rincer !

 

Un campement de pêche ( et de chasse …) est composé d’une case principale sommaire en bois de récupération et d’annexes diverses et variées destinées à entreposer le matériel, les bidons d’essence, une chambre de passage et les outils d’entretien. Leur aménagement dépend aussi de leur taux d’occupation, plus important en saison sèche. Manguiers, palmiers à huile, arbres fruitiers et autres plantations entourent la parcelle. De vieux congélateurs hors d’usage gisent au-dehors. Ils servent à transporter la marchandise.

Un couple de perroquets traverse le fleuve et se dirige par ici. Ils crient, ils braillent, ils s’interpellent en plein vol. Mais qu’est-ce qu’ils se racontent sans cesse ? Est-ce vraiment un langage ou leurs cris stridents ont-ils une autre fonction ? Le perroquet du Gabon est paraît-il le plus intelligent du monde. Je crois que c’est le plus bavard aussi !

La pluie s’éparpille, l’obscurité s’installe, le plomb fondu du soleil éclabousse l’horizon.

Le grognement proche d’un hippopotame transperce la paix du soir.

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Troisième jour :

 

Sommaire sommier pour sommaire sommeil au son de bruits intempestifs : rats ou autres rongeurs dont je préfère ignorer le patronyme, peu impressionnés par mes injonctions orales au silence.

Je me lève tôt pour rattraper ma journée écourtée de la veille. Départ 6h15 .

Ce matin, je m’aperçois que j’ai des muscles dont j’ignorais l’existence. Cervicales, lombaires, épaules, ces régions révèlent leur identité. Mon ramage commence à rapporter à mon plumage. Après une courte période d’échauffement les bras ont estompé leurs tensions. Le plus dur, ce sont les lombaires. Comme pour les très longs trajets en voiture et dans la vie en général, j’en ai tiré des leçons. Il faut d’abord prendre son temps pour bien s’installer, choisir une position confortable et une fois qu’on l’a bien trouvée il faut surtout ….savoir en changer. Aucune position n’est indolore à long terme, il faut savoir se remettre en question et varier celles-ci. C’est comme le rythme. On met du temps à trouver le bon et quand on l’a, il faut le tenir, jusqu’à l’arbre là-bas, jusqu’au prochain méandre et ensuite, le modifier. Ce n’est pas de l’inconstance, c’est de l’adaptation. Comme celles qui ont fait évoluer les espèces vivantes. Je me repose parfois, complètement allongé au fond du kayak. Je me tiens bien droit, d’autres fois demi-assis. J’ai même pagayé agenouillé, ce qui n’est pas franchement recommandé en kayak. Je gère dans la durée. Je ne peux revenir en arrière.

 

A un carrefour, j’hésite quand surgit un grand gaillard dans une petite pirogue en bois. C’est un gendarme en permission dans son village pour les fêtes de Pâques. Mon histoire le laisse perplexe. On a jamais vu ça. Doit-il faire un signalement ? Mais il est en récupération et n’a pas envie d’interrompre sa partie de pêche. On parle un peu. Il m'apprend que nous sommes à l'intersection du petit fleuve qui longe les lacs du nord et du grand fleuve. C’est la deuxième personne qui me parle de l’arrivée à Port-Gentil dont l’embouchure qui s’ouvre sur la mer, semble impraticable à mon embarcation. Il me conseille de m’arrêter à Ngola, dernier village avant Port-Gentil. Je prends note. On se sépare.

 

Je fais la pause du midi. N’ayant pas d’ombre propice à ma disposition, je m’arrête sur un paisible banc de sable entouré de hautes herbes. C’est en réalité une petite île plate comme il en existe beaucoup sur le fleuve. En saison sèche beaucoup d’autres îles et bancs de sable émergent avec la baisse du niveau d'eau. Il faut alors véritablement slalomer entre elles pour éviter les hauts fonds.

 

 

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De sales nuages se sont accumulés au loin devant moi alors qu’il fait toujours aussi chaud dans mon dos. L’orage devrait passer sur le côté mais plus j’avance et plus il s’approche de moi. Je me trouve à un de ces endroits où l’Ogooué s’élargit, s’étale, s’éventre, se replet, se répand. La région de l’Ogooué et des lacs est un immense delta, semblable par moments à celui de l’Okavango. En saison des pluies,  ses limites ne sont pas définies et se prolongent en forêts inondées et inetrminables. De l’autre côté du fleuve au loin, il me semble apercevoir des bancs de sable où je pourrais poser le kayak et peut-être même par cette manœuvre contourner l’obstacle météorologique. Mais le vent se lève brutalement, je suis au milieu du fleuve, presqu’un lac ici. Bientôt les eaux se déchaînent, des vagues se forment. Je rame comme un damné, la pluie me cingle  le visage. Je lutte pour maintenir le kayak face aux vagues mais elles m’emportent sous la force du vent et je dérive par chance vers un petit bras de rivière bordés de roseaux et de papyrus. La houle y est moins forte et je peux me réfugier dans une espèce de mangroves à l’abri des flots.

 

Pendant une heure trente je redeviens philosophe-stoïcien, anachorète aquatique, assis dans son kayak,  méditant sur la fin du monde ou sur la vie après le Déluge. Il pleut des cordages. Je suis un animal dans la forêt qui ne peut  s’abriter. Je ne suis qu’un élément parmi les éléments. Je me souviens avoir emmené un léger K-way, protection dérisoire mais qui me protège le visage des gifles de l’averse. L’orage gronde et j’écope l’eau au fond du bateau quasiment en permanence. Je ne peux qu’attendre la fin de l’intempérie et tirer les leçons de mon erreur. On ne rame pas plus vite que le vent. J’aurais du rester sur la berge où j’étais et me trouver tout de suite un abri, même précaire dans la mangrove. J’aurais certainement été plus abrité qu’ici et je n’aurais pas couru le risque de me retrouver ballotté par les vagues en plein lac.

J’aurais du …j’ai mal interprété les signes

J’aurais pas du …..dans tout périple il ya toujours un moment où la voiture reste posée dans la boue, où l’on se perd, où ça ne va pas comme on voudrait

J’aurais du …..rester à la maison ?

 

non.

 

Est-ce que la somme des si j’avais su et celle des j’aurais pas du s’équilibrent ? On ne saura jamais. Alors je vais attendre, tranquillement. La pluie finit toujours pas s’arrêter.

 

Deux heures plus tard la pluie continue, moins dense et le vent s’est calmé. Il faut que je reprenne ma route dans l’espoir de trouver un refuge pour la nuit. Je longe la mangrove puis traverse à nouveau le lac. Je rame avec acharnement, à bras le corps, indifférent à la pluie persistante, de toutes façons je ne vois pas grand-chose dans la pénombre de mes lunettes de soleil dégoulinantes. Je rejoins enfin l’autre rive du fleuve que je ne quitterai plus. J’ai compris la leçon.

 

16 heures. La pluie s’arrête mais je n’ai aperçu aucun campement depuis plusieurs heures. Il est vrai que dans ce paysage de forêt inondée, il est difficile d’imaginer une installation, même précaire. Je commence à repérer des petites surfaces un peu plates sous les bambous pour y planter éventuellement ma tente ….sans arceaux. Avec des morceaux de bois et un peu de ficelles, je pourrais essayer de bricoler quelque chose.

 

17h30 : enfin un campement….de l’autre côté du fleuve que je traverse encore une fois.

C’est un campement un peu plus grand et il est occupé. J’accoste, j’explique ma situation et demande l’hospitalité. Ils sont déjà nombreux car des travailleurs qui conduisent un radeau de grumes un peu plus loin sont hébergés là également pour la nuit. Sous un auvent de tôles aux murs fait de bâches en plastique, on m’aménage un sommier, l’éternel matelas de mousse, j’installe ma moustiquaire et je suis le plus heureux des hommes.

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Viviane, son mari et son frère vivent ici une bonne partie de la semaine. Le reste de la famille vient les week-end ou les vacances. Viviane prépare les lignes de pêche, des dizaines d’hameçons sur lesquels elle enfile un petit morceau d’écorce de noix de palme pour appâter le yara qu’on vendra à Port-Gentil. Son frère ira poser les lignes pendant la nuit. Le soir nous sommes tous réunis autour d’une grande table. Les lampes à pétrole repoussent les ombres et le vin de palme illuminent les rires. Les hommes boivent et parlent fort.

Viviane dans la case-cuisine prépare le poisson et le riz. On m’explique les subtilités des radeaux de grumes. Les différences de flottabilité des bois font plonger certaines grumes sous les autres, surtout sous l’effet de la houle provoquée par les autres embarcations. Il faut alors se mettre à l’eau, passer un câble sous la grume immergée et tenter de la remonter avec un tire-fort. Cela peut être dangereux, surtout si le câble vient à casser.

Viviane a vu que l’étranger était fatigué. Elle m’apporte mon repas  : 4 morceaux de yara frit et une immense louche de riz. Un festin !

 

Quatrième jour :

 

Je mets à l’eau à sept heures.

Merci pour tout, le gîte, le couvert, la gentillesse, les conseils.

Ils m’ont également recommandé de m’arrêter à Ngola, l’embouchure de l’Ogooué semblant vraiment inaccessible à un kayak gonflable. Les signes sont de nouveau favorables, je ne vais pas aller à leur encontre.

 

La rive est magnifique, singes et oiseaux pullulent, bambous, palmiers, fromagers et autres arbres sans-nom se succèdent. Le ciel est encore couvert des brumes de la veille et le temps est idéalement doux. Je me laisse dériver longuement, sans ramer.

Un énorme craquement sur ma droite, une tâche sombre disparaît déjà dans la végétation. Plus loin dans l’eau, un énorme remous touche le kayak et une masse plonge aussitôt. Seuls les cris des animaux et le froissement des bois de bambous perturbent le silence. Maintenant je sais où je vais, je peux me laisser absorber totalement par la simple contemplation du fleuve et de la forêt. Je me gorge de ces dernières heures, je les emmènerai avec moi dans les réserves alimentaires de ma mémoire.

 

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12 heures : Ngola.

 

«  Bonjour Daro.

Pardon cherche le Monsieur une pirogue pour Port-Gentil, puisque demain il va sur Lambaréné c’est urgent.

Viviane et tata depuis otouma. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Daro gère l’épicerie-bar, l’établissement central sur la petite place de Ngola. A la lecture du message, il sourit, me regarde : pas de problème. Le village est la dernière halte avant Port-Gentil. La plupart des bateaux s’y arrêtent, même les immenses barges qui transportent du matériel pour les chantiers pétroliers ou forestiers en aval y font une pause. On vient y chercher son poisson, boire une bière, prendre des nouvelles de la famille ou savoir si untel est déjà passé avec sa pirogue. Il recommence à faire très chaud. J’ai dégonflé le kayak, l’ai rangé dans son sac. Il ne reste plus qu’à attendre.

L’Ogooué continue de couler, les poules picorent des miettes invisibles, un chien se baigne dans l’eau, un enfant crie quelque part. C’est un dimanche de Pâques. On regarde le fleuve comme on regarde une avenue, attablé à la terrasse d’un café. Les commentaires vont bon train sur tel pêcheur qui rejoint son campement sur un lac, sur l’autre qui a engrossé la fille de son ami, sur les politiques qui font leur apparition au moment des élections et qu’on ne revoit plus après.

Une grosse vedette accoste. Trois hommes en descendent. Ils travaillent pour une société d’électro-mécanique, prestataire d’autres chantiers. Ils peuvent m’emmener mais c’est dimanche, on a travaillé ce matin, on va faire la pause. Quelques bières plus tard on embarque. Encore quelques kilomètres de fleuve et nous parvenons dans la fameuse embouchure.

Effectivement, c’eut été un peu compliqué. Les vagues et surtout le vent de face nous accueillent dès la sortie du fleuve. L’embouchure est immense et il faudrait de nombreuses heures pour la traverser en imaginant que le temps soit clément et la mer calme. Mes compagnons m’expliquent Port-Gentil, le bâtiment Total, la présidence, l’hôpital, le port. Ils me déposent, m’indiquent un petit hôtel tranquille, me font les dernières recommandations pour les taxis et la navette du lendemain.

 

Merci à vous aussi qui m’avez aidé à boucler le dernier maillon de mon périple.

 

Cinquième jour :

 

Je suis sur la navette, grosse vedette à deux étages, qui me ramène à Lambaréné.

Sur le pont supérieur, on peut voir défiler le paysage

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Il y a cent ans, un autre homme sur une embarcation de l’époque faisait le trajet Port-Gentil- Lambaréné. Il découvrait pour la première fois le Gabon, son fleuve, sa forêt. L’Ogooué l’accueillait à berges ouvertes : mangroves, plaines de papyrus, forêts de palmiers, bambouseraies, végétations luxuriantes, à chaque méandre apparaissait un nouveau paysage. Il guettait le vol des grands hérons blancs, pythies immaculées d’un destin singulier. Les mêmes agitations de singes dans les arbres, les mêmes cris de perroquets, de calaos, d’aigrettes, de sternes l’accompagnaient au fil de ce premier parcours.

 

Sur un banc de sable, exactement à l’endroit où j’avais fais une pause avant la fameuse tempête se tient, placide, un hippopotame. C'est un signe favorable, la journée sera belle. Il se met à l’eau à notre approche.

 

Il y a cent ans, les hippopotames étaient beaucoup plus nombreux et sortaient la tête hors de l’eau pour regarder avec curiosité le nouvel arrivant.

 

Il s’appelait Albert Schweitzer.

 

 

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22 décembre 2012 6 22 /12 /décembre /2012 17:30

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Marcelle est arrivée dans le service de pédiatrie de l'hôpital Schweitzer le 02 septembre 2012. Elle n'avait plus que des lambeaux de peau sur le corps et la tête.

Le signe de Nikolski permet de définir les dermatoses bulleuses. La peau se décolle sur une simple pression du doigt. Bientot elle n'eut plus un espace de peau saine. Son corps était un écorché vif. On ne savait plus comment la prendre sans la blesser, comment lui poser des perfusions pour lui apporter le liquide et les minéraux indispensables, comment la réchauffer. Car sans peau le corps n'est plus étanche et les déperditions liquidiennes sont abondantes, sans peau le moindre courant d'air est un supplice.

 La bouche et le tube digestif étaient également lésés.Elle ne pouvait rien avaler.

Le contact des draps était insupportable et collaient sur ses tissus dénudés. On a trouvé dans la réserve des arceaux en demi-cercle sur lequels on a posé les draps et des couvertures. On lui a mis une sonde de gavage et une sonde urinaire. Elle ne pouvait ni se tenir debout, ni s'asseoir.

Elle est restée des semaines ainsi, allongée dans le noir, calfeutrée tête comprise sous sa grotte obscure, avec pour seule ouverture un mince entrebaillement lui permettant de respirer;

Chaque séance de soins était une torture malgré les antalgiques.

Elle avait froid, tellement froid. Il fallait décoller les pansements.

Les complications n'ont pas tardé : déficits protéinique et hydroélectrolytiques par perte cutanée, surinfections multiples nécessitant des antibiotiques puissants, mycoses, carences, anémie....

Et toujours ces difficultés pour trouver une voie veineuse. Il a fallu la transfuser plusieurs fois.

Difficile à mobiliser, des escarres sont apparus qui ont creusés les zones d'appui de son corps de plus en plus cachectique.

 

Marcelle a fait deux arrêts cardiaques que le médecin de garde a pu rattraper.

 

Et puis tout doucement, à force de patience et de traitements corticoïdes adaptés, elle a commencé à cicatriser, les plaies progressivement se sont refermées, elle a pu recommencer à boire puis à s'alimenter.

Dans son tunnel quotidien sans jour et sans nuit, un soulagement s'est esquissé, les gémissements se sont apaisés, les écorchures se sont taries. Le petit espace par lequel elle entrevoyait la lumière s'est agrandi, le froid devint moins intense.

Les escarres se sont refermés avec l'aide de greffes de peau.

 

Enfin un jour elle a pu s'asseoir, pas longtemps mais quand même suffisament pour que tout le monde vienne voir ça et taper dans les mains. Elle n'avait plus de muscles, on l'a aidée à plier les bras et les jambes.

 

Et puis un jour elle a souri. Elle a même ri, d'un petit rire à peine sonore comme le murmure d'un ruisseau trop longtemps asséché.

 

Et puis un jour elle s'est mise debout, flageolante sur ses petites cannes osseuses.

C'est encore difficile mais aujourd'hui Marcelle marche seule.

 

Alors comme on est le 22 décembre, que c'est le week-end et que sa maman voudrait rentrer à la maison, je les ai laissées partir.

 

Joyeux Noël Marcelle.

 

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PS : La nécrolyse épidermique de Lyell est la forme majeure des toxidermies bulleuses. Elle réalise un tableau gravissime dont la prise en charge ne se conçoit théoriquement que dans un centre de réanimation dermatologique. Le diagnostic différentiel se pose essentiellement avec la nécrolyse épidermique staphylococcique du nourrisson ou Staphylococcal Scaled Skin Syndrom ( SSSS) dont la forme généralisée typique réalise un tableau clinique impressionnant d’enfant ébouillanté.

 

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28 novembre 2012 3 28 /11 /novembre /2012 15:07

 

Vert de terre


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La province du Rio Negro sépare Buenos aires de la Patagonie. Une route droite, interminable,  mène vers le sud traversant d' immenses prairies inondées.  Vu d'avion la région ressemble à un delta et l'on ne sait plus si c'est l'eau qui a envahi la terre ou le sol qui émerge de ces étendues lacustres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C'est une des images de l'Argentine, celle des bovins, des gauchos qui à cheval rassemblent leurs troupeaux, des fières estancias glorieuses dans leur solitude. En Amérique du sud, les compagnies locales proposent de très confortables bus avec sièges couchettes, vidéos bruyantes, repas et café à volonté. Et c'est par voie de terre qu'on prend la mesure de ce pays, de ses centaines de kilomètres de pampa où l'esprit abandonnant l'oeil s'évade en digressions incongrues, où entre les épisodes de somnolence on se réveille  et c'est toujours vert et les mêmes boeufs continuent de paître inconscients de leur cuisante destinée.


21 heures de trajet plus tard apparaît enfin Puerto Madryn.

 

 

Bleu marine


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La péninsule Valdés est une excroissance rocheuse le long de la côte de la Patagonie. Une steppe broussailleuse et aride a succédé aux platitudes herbacées de l'Argentine centrale. Rien n'arrête un terrible vent sec qui soulève des tornades de sable et de poussières. Puerto Madryn est la porte d'entrée de la réserve naturelle de la Péninsula Valdés.

 

 

 

 

 

 

 

De juin à novembre les baleines franches viennent sous les frontons de falaises frondeuses y abriter leurs amours australes. Au cœur de cet écrin gît le village de Puerto Piramides. De la plage on peut contempler les ballets aquatiques de ces mastodontes qui, la nageoire extatique, virevoltent à la surface des eaux calmes et peu profondes du Golfo Nuevo. Et l’on se prend au soleil couchant à se laisser corrompre par le romantisme cétacé de ces parades langoureuses.

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L’aridité de cette terre sèche, découpée, rocheuse, d’où émerge une rare végétation pugnace, accentue le contraste avec la richesse faunique des côtes de la péninsule. A Punta Norte un vent puissant cingle l’interminable plage où s’agglutinent des familles d’éléphants de mer. Plusieurs mâles, élégants et gracieux dans l’onde tourmentée, guettent sur la plage d’éventuelles femelles disponibles. Ayant repéré sur le sable une accorte mélusine un audacieux tente une approche terrestre. Un éléphant de mer mâle peut mesurer plus de cinq mètres et peser jusqu’à trois tonnes. Il doit son nom à cette espèce de trompe qui affuble sa particulière face. Sur terre, son imposante masse et le manque inapproprié de membres inférieurs rendent sa progression calamiteuse voire franchement ridicule selon des critères typiquement humain. Il rampe, ses bourrelets ondulent, il s’élance, retombe, lève la tête, s’écroule. Le mâle dominant du harem a repéré la manœuvre du prétendant. Il l’observe d’un œil torve, se redresse pour afficher sa suprématie sur son groupe, dodeline de la tête puis estimant la démonstration suffisante s’affaisse à nouveau. L’autre s’est arrêté. Il semble peu convaincu. Ou alors très en manque car après un instant de réflexion, il avance de quelques mètres mais de façon moins directe il procède à une tentative de contournement. Immobile mais l’œil aux aguets, le mâle dominant suit le manège.

Le vent inlassable fait pleurer les yeux et rougir les oreilles. Le vent et les vagues puissantes encadrent cette scène immuable où seuls les instincts animent ces étendues austères. Il n’y a pas d’échelle humaine, nous sommes au royaume de la démesure, de l’océane Majesté, de la Grandeur Nature, de la lenteur et de l’éternel recommencement.

 

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 Tout ça pour dire que l’autre a encore conquis quelques mètres. On perçoit des frémissements dans le groupe. Une femelle, l’air de rien, s’est retournée et a jeté un regard curieux vers le présomptueux impétrant. S’en est trop. D’un bond autoritaire et avec une rapidité inattendue, le mâle dominant s’est élancé en fustigeant d’un rugissement caverneux les velléités du téméraire. Cette fois il a compris et penaud et contrit s’en retourne bedonnant tenter sa chance un peu plus loin.


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La Caleta Valdes est une lagune qui longe la façade est de la péninsule sur plusieurs dizaines de kilomètres. A cet endroit la terre et l’eau dessinent d’éclatantes arabesques. L’œil s’y repose après le tumulte des éléments. Des manchots de Magellan ont choisi cette côte abritée pour y construire leurs nids et leurs terriers. En octobre les femelles viennent y pondre des œufs qui vont éclore mi-novembre. Stoïques dans leur smoking, ils orchestrent à la baguette l’agencement de leurs territoires.

 

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Plus loin, des mamans éléphants de mer ont choisi le cadre somptueux de Punta Cantor pour mettre au monde leurs petits. Epuisées par la mise-bas, elles doivent encore se défendre contre les fous et les goélands qui viennent se repaître du placenta ensanglanté et parfois à l’occasion s’attaquer à un bébé un peu faible. Ils sont habiles, patients, rusés. Ils attendent, immobiles. La mère protège son petit tout contre elle. Les oiseaux ont déjà commencé leur harcèlement. Certains ont le plumage rouge du sang de leur victime. D’aucuns vont diversion, attaquent d’un côté pendant que leurs comparses en profitent de l’autre.


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Loin de ma forêt équatoriale j’ai retrouvé des éléphants ( de mer) et des lions (de mer). A Punta Pardelas, dans une eau claire et peu profonde nous avons pu nous baigner avec des lions de mer. Très joueurs ils dansent dans l’eau, s’éloignent, reviennent par surprise, nous foncent dessus pour s’esquiver à la dernière seconde. Curieux, ils s’approchent de l’objectif de l’appareil photo jusqu’au moment où je m’aperçois qu’ils sont aussi curieux du goût que cet étrange objet peut avoir et qu’ils se dirigent maintenant vers moi la gueule grande ouverte. Je range l’appareil mais continue à enregistrer dans ma mémoire ces moments de délices.


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4 octobre 2012 4 04 /10 /octobre /2012 19:53

 

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La vie est un jeu. On peut gagner sa vie, on peut perdre la vie. Tout est question de hasard. Ou d'intuition. Et d'intelligence aussi.

L’enfant apprend en jouant, en faisant semblant. Il joue à la petite école, il joue au docteur, elle joue à la poupée. Au début les animaux-enfants jouent à la bagarre, ce qui leur permet d'évaluer leur force et leur place dans le groupe. Le jeu est au départ mimétique, il singe le comportement des parents. Chez l'homme apparaît plus tard la jouissance du gain, l'euphorie de la victoire.

Mais il n'y a pas de jeu sans risque d'échec. C'est cette possibilité assumée de l'échec qui donne sa grandeur au jeu, c'est l'incertitude qui fait le sel du hasard.

 

J'aime jouer aux cartes. Aux cartes géographiques. Je peux y passer des heures.

Les cartes routières du Gabon sont très aléatoires. Certaines nationales en grosse ligne rouge sont devenues des traces impraticables et d'autres pistes non mentionnées sont de vrais boulevards. Leur état dépend généralement de la proximité d'un chantier forestier ou pétrolier car entretenues par eux. Mais si le chantier se déplace, la forêt équatoriale reprend très vite ses droits et après une saison des pluies sans entretien devient méconnaissable.

 

Sur la carte il existe entre Fourplace et Kougouleu un réseau de pistes contigü à la route goudronnée qui rejoint les deux villages en une heure. Je n'ai pas pu recueillir beaucoup d'indications sur l'état de la piste. Je me trouve en ce début d'après-midi de retour de Libreville à cette croisée de Fourplace qui m'intrigue depuis plusieurs mois. Le soleil se couche vers 18h30. J'ai le temps, au moins quatre heures devant moi, ça devrait suffire largement. Le début est très chaotique, de nombreuses ravines très profondes lacèrent le chemin et j'avance très lentement. Pourtant plusieurs villages jalonnent ma progression. Certains hommes travaillent au chantier forestier un peu plus loin ou chez les chinois qui prospectent le pétrole. Ici on cultive la banane et on chasse le singe, le porc-épic ou l'antilope. Je m'arrête parfois en quête de renseignements. Statistiquement je dirais qu'un tiers des personnes interrogées me dit que la piste est ouverte, un tiers que ce n'est pas possible, un tiers ne sait pas.

Je suis joueur, je continue.

 

Des villages un peu plus importants apparaissent,  les plantations de bananes sont plus étendues, il y a une petite boutique et une sorte de chapelle. La piste s'élargit ensuite en un beau revêtement de latérite : c'est bon signe. Il doit y avoir un accès de l'autre côté pour arriver à la route car je n'imagine pas les voitures et les engins des chantiers rejoindre en permanence le goudron par la piste que je viens d'emprunter.

J'ai mon propre classement des pistes en fonction de la vitesse qu'elles autorisent :

- catégorie 1: celles où l'on peut rouler à plus de 60 km/h

- catégorie 2 : entre 30 et 60 km/h

- catégorie 3 : moins de 30 km/h

Ici on n'estime pas les distances en kilomètres mais en heures de trajets et cette méthode permet une évaluation approximative de l'état des routes.

 

Je suis repassé en catégorie 1. Je traverse un village. Je ralentis. Un drapeau gabonais ( vert-jaune-bleu) sur un vieux mât en bois identifie la case du chef du village. Celui-ci assis sur une chaise en plastique se lève en titubant à mon approche et me fait signe de m'arrêter. La consommation de vin de palme est une des occupations favorites dans ces lieux isolés. Il s'étonne de ma présence. D'une élocution hésitante il m'explique qu'après quelques kilomètres il y a un carrefour : la piste de droite mène chez les chinois, celle de gauche chez les forestiers. Il est formellement interdit de prendre à droite. Fort de ce renseignement il me réclame son coca. Le coca est devenu le terme générique de pourboire (qui n'a jamais aussi bien mérité son nom) ou petit cadeau. J'arrive en effet à l'intersection qu'il m'a décrite, je prends à gauche, ça me semble cardinalement la bonne direction. A cette allure je devrais rejoindre la route en moins d'une demi-heure. Je ne croise aucun véhicule, aucun camion, mais c'est dimanche. Parfois des pistes secondaires partent à droite ou à gauche mais je ne quitte pas l'axe principal. C'est logique.

Je garde la main. Je vais y arriver.

 

Je tente quand même une piste à gauche mais très rapidement je me retrouve dans un cul-de-sac et je fais demi-tour. J'ai compris. Faut respecter les règles.

 

Parfois des grumes sont entassées sur une aire dégagée. Un engin est à l'arrêt au bord du chemin. Et puis soudain un arbre abattu m'empêche d'aller plus loin. Tout ce chemin pour rien ! Il est 17 heures. Je roule depuis trois heures. J'enrage d'échouer si près du but : deux écueils principaux rendent les pistes abandonnées rapidement impraticables : les arbres abattus et les ponts effondrés. Les arbres en forêt équatoriale ont des racines superficielles très larges. Ils n'ont pas besoin de puiser l'eau en profondeur puisqu'elle se répand en abondance à la surface. Mais cela les rend plus vulnérable aux bourrasques et à leur propre poids. Et à y bien regarder celui-ci est tombé naturellement. Il a du choir il y a peu de temps car cette piste est normalement fréquentée par les engins forestiers. La cime obstrue la partie gauche de la piste mais à l'aide d'une machette et en tractant avec la voiture et un câble la plus grosse branche, je devrais pouvoir me glisser sur le côté.

ça passe mais la partie devient difficile.

 

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D'autant plus que rapidement la piste se rétrécit à nouveau comme si le chantier s'arrêtait là. Il s'agit probablement des limites de la concession exploitée actuellement mais cette ancienne piste est encore en bon état bien que beaucoup plus étroite. Le ciel s'obscurcit. C'est en fait la forêt qui redevient galerie. Les branches des deux côtés se rejoignent et forment un toit opaque, les arbustes griffent la voiture, je dois remonter les vitres car les feuilles arrachées s'entassent à l'intérieur et certaines sont porteuses d’inopportunes fourmis noires. Je suis redescendu depuis un moment en catégorie 3 quand survient un nouvel obstacle. Un vieux pont de dix mètres de long qui surplombe une rivière. Il fait presque nuit. A la lueur des phares j'évalue les planches entrecroisées, en replace certaines, repère les points faibles. La route est juste après, pas loin, j'en suis sûr. J’avance. Doucement. Mètre après mètre. Le bois craque sous moi. Je rebondis sur cette surface irrégulière, les mains crispées sur le volant. Je retiens mon souffle attendant à chaque instant la chute dans le vide. C'est long dix mètres.

ça passe, mais la mise commence à être élevée. PICT0018

 

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Dans ces régions les forêts sont des entrelacs d'anciennes pistes mais celle que je suis semble la moins défraîchie

Il fait nuit noire maintenant et j'enfreins un principe fondamental pour qui circule en Afrique : ne jamais rouler de nuit, surtout dans ce genre de situation. On perd ses repères et tout sens de l'orientation. En plus sans GPS. Ben oui, j'étais parti pour une simple ballade, serein contemplatif, ténébreux bucolique. Je continue. C'est maintenant la piste qui joue avec moi et avec mes nerfs. Elle s'élargit, suscitant l'espoir pour se rétrécir aussitôt jusqu'à un deuxième pont, plus large que le précédent mais parsemé de trous qu'il faut obstruer. Je n'ai plus le choix de toutes façons, faire demi-tour pour affronter à nouveau le premier pont ou franchir celui-ci c'est pareil. Je respire profondément comme un athlète qui prend son élan et j'y vais. Je zigzague pour trouver les bons appuis.

ça passe encore.

Encore et encore, j'avance toujours mais je ne suis plus sûr de rien.

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Un quart d'heure plus tard, c'est la fin. Le troisième pont est définitivement effondré, sinistre dans sa béance. Les grumes qui le composaient gisent au fond de la rivière. Je descends de voiture. Il n'y a rien à faire.

Les ponts s'effondrent rongés par l'humidité ou les parasites ou bien détruits par les forestiers eux mêmes pour empêcher la circulation des braconniers qui font commerce de viande de brousse. Ce qui est une bonne chose en soi. Mais qui en l'occurrence ne m'arrange pas. Mais pas du tout. Il ne me reste plus qu'à faire demi-tour. Mais en effectuant la manoeuvre j'aperçois sur la droite une petite piste qui semble contourner le pont. Comme un joueur à qui l'on octroie un dernier jeton dans l'espoir de se refaire, je m'harangue d'un poing rageur.

La partie n'est pas finie.

 

En effet j’accède de l’autre côté et retrouve bizarrement des traces de chenilles de caterpillar. Je les suis en pensant qu’elles me conduiront enfin à un chantier où l’on pourra m’indiquer la bonne direction. Je croise de nombreuses pistes annexes mais je reste fidèle à mon fil conducteur qui me conduit à …. un mur ! un mur végétal, un cul-de-sac, rien aucune issue possible, juste une petite plate-forme suffisante pour me permettre de faire demi-tour. Je ne comprends pas, ces traces d’engins semblaient récentes, là au milieu de rien, deux ou trois kilomètres nées de nulle part qui n’aboutissent à rien. Comme moi. Je n’éclaircirai pas ce mystère. Je dois rester concentré et lucide si possible.

J’ai compris, cette fois-ci je m’incline.

 

J’ai roulé six heures, il fait nuit et il me faut refaire tout ce chemin en sens inverse. Je suis un insecte englué dans une toile d’araignée. Je soupire de déception mais il faut accepter : j’ai perdu. Mais je ne dois pas perdre mon temps. Les empreintes des chenilles me guident à nouveau. Puis elles disparaissent. Je continue. Deux pistes s’ouvrent devant moi : droite ? gauche ? J’ai veillé à l’aller à toujours prendre à gauche ce qui était logique si je voulais rejoindre la route. Je prends donc celle de droite. A la lueur des phares, en sens inverse, je ne reconnais plus grand-chose. Mais ça doit être ça. Nouvelle bifurcation, toujours à droite. J’arrive dans une petite clairière. Un cul-de-sac encore. Il est 21 heures.

J’ai perdu et je me suis perdu.

 

J’ai de l’eau, un paquet de chips, quelques biscuits. Ma voiture est aménagée pour y dormir, je laisse en permanence une moustiquaire dans l’un des coffres. Il faut s’arrêter là. Je suis perdu. Drôle de sensation. Je ne sais pas où je suis. Peut-être à 50 ou 100 kilomètres du premier village. Aucun contact avec le reste de l’humanité. Bien sûr, pas de réseau GSM, pas de GPS, pas d’internet, aucun outil technologique pour m’aider. Seul avec Manny dans l’immensité végétale. Je m’assois sur la galerie de la voiture. La pleine lune éclaire les arbres autour de moi. Demain au petit jour j’y verrai plus clair.

 Je vais reconnaître le chemin.

 

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J’aime dormir dans ma voiture en forêt. A l’abri dans mon char d’acier, je guette les Esprits de la forêt. Les murmures deviennent résonnances, les petits cris des stridences, les craquements des cymbales, l’invisible se révèle en sons et en odeurs. Toute une faune s’éveille, se nourrit, se poursuit, s’appelle, se signale, se déplace, se traque, s’évite. Une légère brise m’apporte des effluves humides et puissantes, un feuillage s’ébroue, de hautes herbes s’écartent, un monde se libère du joug de la chaleur et de la lumière.

La nuit la nature est à l’état brut et ses lois sont brutales. Mais il n’y a rien de dramatique. Dans mon abri ambulant, je suis en sécurité, simple spectateur fasciné par ces sonates improvisées.

La nature impose ses propres règles du jeu.

 

Je me retrouve à l’état sauvage, dédomestiqué. Je ne veux pas laisser Manny au bout du chemin, au bout de tous ces chemins qu’on a fait ensemble, ma voiture, ma maison, ma chambre, mon ambulance, mon taxi, ma compagne. Je suis perdu. Mon lyrisme devient ridicule. Je sais que je m’en sortirai, fut-ce à pied. Mais si je dois la laisser ici, comment venir la rechercher, retrouverai- je le chemin ? Je suis perdu. Seule la force des mots peut se comparer à la force de la nature. Et cette nuit, dans cette clairière, sous cette lune, ils jaillissent des frondaisons. Sans issue. Plus rien. Pas d’avenir. Fini. J’ai joué, j’ai perdu.

Mais je ne peux même plus rentrer à la maison.

 

Le lendemain je démarre à six heures. Après quatre heures de tergiversations dans de multiples pistes adjacentes, toutes sans issue, je me retrouve à mon point de départ. Tout ça n’a aucun sens, je tourne en rond Je suis bien venu de quelque part et toujours un arbre couché, un bourbier infranchissable, un pont cassé. Dérouté. Désorienté. Abattu. Effondre. Comme sous l’effet d’une drogue catalysante, les mots, ternis par l’usage, retrouvent leur transparence vitelline. Eperdument. Eperdument amoureux ou éperdument malheureux, aux confins de la solitude et du désarroi, au-delà de la haine ou de la colère, du lyrisme et de l’exaltation, perdre la raison.

 

Je ne sais plus quoi faire. J’ai noté sur mon carnet chaque piste, le nombre de kilomètres et le temps mis. Je retrouve les traces de chenille que je reprends jusqu’au terminus et je refais demi-tour et j’aperçois enfin une petite piste sur la gauche que je n’avais pas vue auparavant et qui me ramène au dernier pont effondré.

 

 La vie n’a aucun sens, elle n’a que des directions.

Je retrouve le droit chemin.

 

Mes souffrances ne s’arrêtent cependant pas là. Mes réserves de carburant sont limitées. Et surtout il me faut franchir à nouveau les deux ponts en ruine qui à la lumière du jour me semblent encore plus fragiles et dérisoires. Ça passe mais cette fois-ci je ne joue plus, je veux juste rentrer chez moi. Après c’est tout droit ou presque, l’œil sur la jauge je reconnais certains repères, des croisées traversées, les villages. Je retrouve avec bonheur le bitume et quelques kilomètres plus loin une station de carburant.

 

Je suis à sec.

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