Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
6 mars 2015 5 06 /03 /mars /2015 16:37
Début damné 2015

La petite fille est allongée sur la table d’examen. A deux ans, ses bouclettes blondes encadrent la lumière de ses yeux. Un soleil naissant se lève sur le bleu lagon de son regard innocent.

Je lui souris.

  • Tu as mal où ?
  • J’ai Ebola, murmure t-elle.

Je sursaute.

  • Tu as quoi ?
  • J’ai bobo là, répète t-elle en me désigna son ventre avec l’index.

Je la regarde à nouveau. Aucune vaguelette n’est venue troubler le calme limpide du bleu lagon. Elle a juste les sourcils relevés comme pour lui donner encore plus d’éclat. Elle a eu mal au ventre cette nuit, ce matin ça va déjà mieux. On va vite résoudre ça et la laisser à son innocence.

Début damné 2015

On vit des temps agités, des épidémies ravagent certains pays, des exterminateurs veulent enseigner la vraie foi et donc la vraie morale en enlevant des jeunes filles pour en faire des esclaves sexuelles et en bombardant des écoles, des journalistes se font égorger, des dessinateurs se font dégommer. L’éducation est un péché, le dessin un blasphème.

Je suis sur mon caillou, sous l’aisselle de l’Afrique, à regarder l’harmattan des haines et des virus se répandre sur le monde. Ici aussi à Malabo un voile de poussière nous embrume. On ne voit plus le ciel, sur le paséo on ne voit plus les côtes du Cameroun juste en face, on ne voit plus le Basile Bubi, le volcan de 3000 mètres qui domine l’île de Bioko, on distingue à peine les cargos qui mouillent au large. On est en janvier. Bonne année.

Début damné 2015

La CAN ( Coupe d’Afrique des Nations) de football vient de commencer sur le continent à Bata, l’autre capitale. En 2012 déjà, la Guinée équatoriale co-organisait le tournoi avec le Gabon. J’étais à la finale à Libreville où les éléphants de Côte d’Ivoire furent battus par les petits poucets zambiens. Cette fois-ci, le Maroc ayant déclaré forfait officiellement en raison de la menace EBOLA, la Guinée équatoriale s’est proposée en dernière minute pour accueillir seule la compétition, les deux grands stades de Malabo et Bata étant déjà prêts. Le président du pays depuis 36 ans et le président de la CAF ( Confédération Africaine de Football) depuis depuis tombèrent rapidement d’accord, cette solution rehaussant le prestige de chacun auprès de leur pairs et frères africains.

La CAN est une grand messe, une célébration de la religion du foot, et en Afrique on est très croyant. Chaque enfant, musulman ou chrétien, qui tape le ballon dans la rue rêve d’aller jouer dans un grand club en Europe. Religion, foot, politique, ces idéaux fédérateurs galvanisent les foules et sont utilisés à bon escient par les grands prêtres du pouvoir. Au village, il y a la mosquée ou le temple ou l’église ET le terrain de foot. Il y a parfois des morts dans les stades comme on tue dans les lieux de prières.

Ce qui unit le mieux, c’est l’ennemi commun.

Tous les week-ends, des fanatiques ou ultras comme ils s’autoproclament, vocifèrent leurs haines et leurs frustrations dans des stades. Ils scandent et hurlent des insultes et des slogans hostiles contre ceux qui ne sont pas comme eux. Le Ghana a battu la Guinée équatoriale en demi-finale de la CAN. Et tout a dégénéré. Au stade la tribune ghanéenne fut arrosée de projectiles en tous genres, bouteilles, cailloux, cannettes et leurs supporters durent se réfugier sur le terrain. Les joueurs furent contraints de rejoindre les vestiaires protégés par des policiers casqués angolais. Ensuite ce fut une nuit de dégradations en tous genres et de chasse à l’homme, il valait mieux ne pas parler anglais dans les rues de Malabo cette nuit-là.

Début damné 2015

Toutes les semaines des manifestations hostiles, des attentats, des représailles attisent les rancoeurs et la vengeance contre ceux qui ne prient pas comme eux.

Au départ il y a la foi.

Chacun est libre de croire en son Dieu mais la foi est une croyance. Personne ne détient la preuve de l’existence de Dieu. Un faisceau d’évènements qui ont engendré des récits ont amené certains à décréter la réalité d’un Dieu.

La foi est une liberté individuelle.

Et puis vinrent la religion et ses pratiques, son culte, ses rites. Des prophètes et des apôtres ont émis des versets et des chapitres, des interprétations et des recommandations, des commandements et des interdits. Cette pratique religieuse avec le temps et toujours sous l’influence de l’homme et de certaines révélations a évolué. La loi civile n’existant pas encore, c’était la Loi religieuse qui régissait les peuples. Tous les peuples se sont fédérés autour de ces croyances et de leurs pratiques qui ont créé les civilisations et organiser le vivre ensemble.

La religion est une pratique collective.

Le Pouvoir s’en est mêlé et ce qui était un ciment est devenu un instrument. On a parlé de guerres saintes, de guerres de religion, d’évangélisation, de « vraie foi », de jihad. La Gloire de Dieu est devenu l’étendard des nouveaux convertis. Et gare à ceux qui ne prient pas comme eux, qui ne votent pas comme eux, qui sont d’un autre club ou d’une autre nation.

« Falta de respeto » : les colons espagnols pour ce simple motif ( faute ou manque de respect), pour une attitude jugée trop fière ou un regard abaissé trop lentement punissaient avec violence leurs esclaves ou leurs sujets.

Début damné 2015

J’ai des amis chrétiens plus ou moins pratiquants, musulmans plus ou moins pratiquants, juifs plus ou moins pratiquants. Dans mon village, le toit de l’église est en piteux état et l’argent manque pour le réparer. Je suis non croyant ou mécréant, et pourtant la dégradation de cet édifice me touche. J’ai été baptisé, élevé dans la pratique religieuse catholique, j’ai accompli les rituels sacro-saints comme autant d’étapes de mon développement. Et puis un jour, je n’ai plus cru en ce qu’on m’avait fait croire. La Foi avait disparu. J’avais absorbé l’enseignement religieux comme une vérité éternelle et incontournable et soudain cet envoûtement spirituel s’est évaporé. J’avais perdu la Foi comme on cesse d’être amoureux, un jour, sans bien savoir pourquoi, on y croit plus. On a perdu la flamme. Alors on peut toujours rester ensemble, continuer à vivre comme si de rien n’était, aller aux offices, remplir ses devoirs, satisfaire aux rites, revêtir l’apparence, rester ensemble à cause des autres. Mais ma nature ne me porte pas à ces compromissions.

Je suis structurellement de culture catholique. Comme mon ami Sidi, mauritanien, agnostique, citoyen d’une république islamique, est de culture musulmane. Parce que l’on a été élevé dans cet environnement et que cette culture nous amène naturellement à tolérer les pratiques religieuses de notre entourage, même si l’on y croit plus. Mais c’est plus compliqué pour lui dans un pays où l’apostasie est passible de la peine de mort.

Vivant dans un pays où la religion et l’état sont séparés depuis plus d’un siècle, où le fonctionnement commun est basé sur la laïcité et ayant du moi-même forcer le destin pour accéder à l’émancipation religieuse, je suis parfois heurté par les signes extérieurs des autres religions qui reviennent envahir un espace que je croyais libéré. Les courbettes sur des tapis de prières, le port du niqab, les interdits alimentaires, « la Loi islamique », s’intègrent dans le paysage des pays de culture musulmane et je les respecte même si je ne les comprends pas. En France, si je vois un moine bouddhiste vêtu de sa toge orange se balader dans la rue je vais trouver ça folklorique. Si quelques mois ou quelques années plus tard, j’en croise cent ou mille, si des temples bouddhistes commencent à proliférer dans mon quartier avec leurs incantations, leurs bougies et leurs icônes rigolotes, cela risque sérieusement de commencer à m’irriter même si leur religion est une religion de paix. Enfin théoriquement car l’Hindouisme qui a donné naissance au Bouddhisme n’est pas si pacifique que ça et les violences entre hindouistes et musulmans sont fréquentes en Inde. ( cf la revue Cultures & Conflits). Comment vivre ensemble quand une communauté abat une vache, animal sacré de l’autre communauté ? Comment ne pas se heurter quand une procession religieuse hindoue passe en musique devant une mosquée au moment de la prière ?

Le Pouvoir sait utiliser ces rituels de provocation pour mobiliser sa communauté.

Je suis de culture catholique mais le pape m’énerve quand il s’exprime sur la contraception, le mariage, le divorce, le préservatif, le SIDA et nous autres pauvres pêcheurs.

Je suis de culture catholique mais Noël est une fête qui me gonfle, comme halloween, et leurs dérives commerciales. Par contre j’aime bien les lundi de Pâques ou de Pentecôte, ça m’arrange…

Je suis de culture catholique non croyant non pratiquant mais j’aime la solennité des églises, ces lieux grandiloquents aux piliers démesurés, aux voûtes élégantes, aux vitraux éclatants. J’aime y sentir les odeurs de mon enfance qui se sont imprégnées dimanche après dimanche dans ma mémoire olfactive, odeur d’encens, de vieilles boiseries, de dalles froides, de cierges consumés, d’humidité prégnante. J’ai grandi avec le clocher au milieu de mon village.

Début damné 2015

Dans ma culture les femmes se sont battues pour obtenir leur liberté de penser, de s’exprimer, de s’habiller, le droit de vote, la contraception, l’avortement. Dans ma culture la peine de mort a été abolie, l’homosexualité n’est pas réprimée, l’incitation à la haine raciale, le négationnisme, l’apologie ou la provocation au terrorisme, l’outrage à agent sont interdits. Dans ma culture j’ai le droit de dire des gros mots, des bêtises pas toujours marrantes, de boire un coup, de draguer les filles, de chanter, de danser, de manger ce que je veux quand je veux, de m’habiller comme je veux.

Dans ma culture il y a des Lois, il y a des Codes qui régissent ma liberté pour qu’elle ne s’exerce pas au détriment de celle des autres. La Nature a ses droits, La Justice a ses infractions, la morale a ses recommandations, le sport a ses règles, la religion a ses commandements.

Simplement essayons de vivre ensemble.

Ensemble mais différents, différents mais ensemble.

Début damné 2015
Partager cet article
Repost0

commentaires