Marcelle est arrivée dans le service de pédiatrie de l'hôpital Schweitzer le 02 septembre 2012. Elle n'avait plus que des lambeaux de peau sur le corps et la tête.
Le signe de Nikolski permet de définir les dermatoses bulleuses. La peau se décolle sur une simple pression du doigt. Bientot elle n'eut plus un espace de peau saine. Son corps était un écorché vif. On ne savait plus comment la prendre sans la blesser, comment lui poser des perfusions pour lui apporter le liquide et les minéraux indispensables, comment la réchauffer. Car sans peau le corps n'est plus étanche et les déperditions liquidiennes sont abondantes, sans peau le moindre courant d'air est un supplice.
La bouche et le tube digestif étaient également lésés.Elle ne pouvait rien avaler.
Le contact des draps était insupportable et collaient sur ses tissus dénudés. On a trouvé dans la réserve des arceaux en demi-cercle sur lequels on a posé les draps et des couvertures. On lui a mis une sonde de gavage et une sonde urinaire. Elle ne pouvait ni se tenir debout, ni s'asseoir.
Elle est restée des semaines ainsi, allongée dans le noir, calfeutrée tête comprise sous sa grotte obscure, avec pour seule ouverture un mince entrebaillement lui permettant de respirer;
Chaque séance de soins était une torture malgré les antalgiques.
Elle avait froid, tellement froid. Il fallait décoller les pansements.
Les complications n'ont pas tardé : déficits protéinique et hydroélectrolytiques par perte cutanée, surinfections multiples nécessitant des antibiotiques puissants, mycoses, carences, anémie....
Et toujours ces difficultés pour trouver une voie veineuse. Il a fallu la transfuser plusieurs fois.
Difficile à mobiliser, des escarres sont apparus qui ont creusés les zones d'appui de son corps de plus en plus cachectique.
Marcelle a fait deux arrêts cardiaques que le médecin de garde a pu rattraper.
Et puis tout doucement, à force de patience et de traitements corticoïdes adaptés, elle a commencé à cicatriser, les plaies progressivement se sont refermées, elle a pu recommencer à boire puis à s'alimenter.
Dans son tunnel quotidien sans jour et sans nuit, un soulagement s'est esquissé, les gémissements se sont apaisés, les écorchures se sont taries. Le petit espace par lequel elle entrevoyait la lumière s'est agrandi, le froid devint moins intense.
Les escarres se sont refermés avec l'aide de greffes de peau.
Enfin un jour elle a pu s'asseoir, pas longtemps mais quand même suffisament pour que tout le monde vienne voir ça et taper dans les mains. Elle n'avait plus de muscles, on l'a aidée à plier les bras et les jambes.
Et puis un jour elle a souri. Elle a même ri, d'un petit rire à peine sonore comme le murmure d'un ruisseau trop longtemps asséché.
Et puis un jour elle s'est mise debout, flageolante sur ses petites cannes osseuses.
C'est encore difficile mais aujourd'hui Marcelle marche seule.
Alors comme on est le 22 décembre, que c'est le week-end et que sa maman voudrait rentrer à la maison, je les ai laissées partir.
Joyeux Noël Marcelle.
PS : La nécrolyse épidermique de Lyell est la forme majeure des toxidermies bulleuses. Elle réalise un tableau gravissime dont la prise en charge ne se conçoit théoriquement que dans un centre de réanimation dermatologique. Le diagnostic différentiel se pose essentiellement avec la nécrolyse épidermique staphylococcique du nourrisson ou Staphylococcal Scaled Skin Syndrom ( SSSS) dont la forme généralisée typique réalise un tableau clinique impressionnant d’enfant ébouillanté.