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14 mars 2010 7 14 /03 /mars /2010 11:34

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Deux culs-de-sac évolutifs ont marqué  l'odyssée de l'espèce humaine: l'homme de Neandertal et le belge.

Le belge est migrateur. On le comprend. Si vous croisez par exemple en plein centre de l'Afrique aux abords de l'équateur un colosse vêtu d'un tee-shirt vert et d'un caleçon blanc à rayures marrons, coiffé d'une casquette jaune siglée "fête de l'indépendance" et chaussé d'énormes chaussures de marche en train de faire un jogging vers 14 heures, en plein soleil au beau milieu de la saison la plus chaude de l'année, en émettant un élégant ahanement ferroviaire, au moment où tout honnête citoyen corticalisé vêtu de son seul oreiller laisse s'écouler benoitement du coin de sa commissure labiale un discret filet de bave extatique sous l'influence régénérante d'un ventilateur complice,  ne vous y trompez pas : c'est un belge.

 

Mon ami Daniel est belge.

Il est venu me voir à Lambaréné.

 

Une heure plus tard, émergeant de la brume cotonneuse de rêves tropicaux, je retrouve Daniel allongé sur son lit. Le géant vert a mûri : il est devenu rouge écarlate, carmin, à la limite du blettissement. J'avais bien pourtant tenté de le dissuader de se lancer dans cette apoplectique entreprise mais Daniel, comme toutes les forces de la nature, ne perçoit les limites fonctionnelles de son organisme que lorsqu’il les a dépassées, c'est à dire quand il tombe d'un bloc, vaincu par des lois physiques plus fortes que les siennes.

Donc le belge est migrateur et quelque peu perturbé du neurone. Pour finir de vous en convaincre, je rouvrirai son dossier à l’année 2006 où il emmena sa charmante épouse et ses quatre enfants en voyage autour du monde à bord d’un land-rover pendant deux ans et vous inviterai à consulter les éléments à charge sur son site :
la-vie-est-belle.be ( récit de ce périple fait de rencontres extraordinaires par exemple en juillet 2007 en Tanzanie).

 

Depuis l’expérience à Waka ( cf blog juin 2009) et la découverte dans le camp d’études des gorilles et des chimpanzés de Loango ( janvier 2010) que leurs pisteurs étaient des pygmées de la région de Waka, l’idée avait germé d’y retourner d’abord pour rencontrer les pygmées et éventuellement leur demander de nous guider dans la forêt. Je soumettais alors le projet à Daniel.DSC00154


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                                                                                                                                                                                            Nous nous retrouvons au bac de Sindara le samedi matin et coup de chance il est prêt à partir. Un peu à l’écart deux femmes et un homme gabonais nous abordent. Ils sont là depuis la veille et attendent l’occasion d’un véhicule pour les emmener à Ikobey à deux heures de piste de l’autre côté du fleuve. Très peu de véhicules passent par là et comme ils ont l’air volubile et sympathique, on décide de les emmener. 
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pygmees 8159
Le but de leur périple est le village de Tranquille que j’avais découvert
lors de ma précédente expédition dans la région, village connu pour
son chef pygmée, Papa Ndo, tradipraticien réputé
( on dit aussi guérisseur, ou charlatan, ou ganga).






Nous comptons profiter de cette opportunité pour nous faire introduire
 au village par nos entremetteurs. Au cours du voyage, elles nous
 apprendront qu’elles viennent de Port-Gentil et cherchent en
réalité à trafiquer un peu d’or avec les pygmées qui puisent l’or
dans les rivières. L’homme qui les accompagne est une sorte
 de garde du corps qui assure leur sécurité.



                                                                                                                                                                                                                                        DSC00132Je retrouve avec plaisir cette piste qui m’avait tant plu l’année dernière, un peu piégeuse avec ses nombreux petits ponts plus ou moins effondrés, ses reliefs et ses bambous, cette sensation permanente d’ouverture provisoire dans le grand rideau de la forêt..

Arrivés au village dans l’après-midi, on les laisse faire les présentations, entamer les premières négociations et la distribution des cadeaux nécessaires.

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Tranquille ne doit certainement pas son nom au hasard. Enfoncé en contrebas de la piste à l’abri des regards, au bord d’une petite rivière et entouré de massifs de jungles inextricables, le village exhale une quiétude primitive, encore peu troublée par le monde extérieur. Quelques tee-shirts et shorts marquent cette intrusion. On nous reçoit dans la case commune, ouverte sur l’extérieur , au milieu de laquelle se consume l’extrémité de quatre grosses branches disposées en croix. Un feu est ainsi disponible en permanence et à l’approche de la nuit la fumée du brasier éloigne les moustiques. L’air est cependant par moments saturé de cette fumée et il nous faut alors retrouver un peu d’oxygène à l’extérieur.
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 On nous propose des petits bancs un peu inadaptés à notre taille mais qui nous conviennent parfaitement. Les enfants nous regardent avec curiosité et un plus grand ( difficile de leur donner un âge et de toute façon ils n’en ont pas, je me suis rapidement rendu compte que la question les mettait mal à l’aise) déambule fièrement avec son maillot de football SYLVAIN WILTORD.
                                                                                  IMGP1970
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Le village est constitué de deux rangées de cases en bois et torchis recouverts de feuilles de palme au milieu desquelles s’étend la place du village. Le chef nous a donné l’autorisation de poser la voiture à l’entrée du village où nous passerons la nuit. Le soir gazelle fraîche ( découpée devant nous) et manioc au menu. J’exprime alors mon projet de ballade en forêt accompagné d’un ou deux pisteurs et le chef désigne aussitôt deux garçons, Sylvain Wiltord et un autre Garssi ( dont l’origine du patronyme m’échappe) pour nous guider. Le lendemain, nous reprenons la voiture avec nos deux nouveaux amis et Willy ( « le garde du corps »). Je souhaitais en fait suivre une de leur piste de chasse ou qu’ils nous emmènent dans des coins bien connus d’eux mais je me rends rapidement compte qu’ils nous guident vers le parc de Waka que je connais déjà. Ce n’est pas très grave car le parc est vraiment joli et je pense que cela plaira à Daniel. Je retrouve avec plaisir Rodrigue qui me reconnaît. C’était lui l’année dernière qui nous avait accueillis et emmenés sur une des traces de cet ancien chantier forestier reconverti en parc naturel en 2002. Il va nous préparer le repas du midi pendant notre excursion.

Sylvain prend la tête du groupe mais très vite il se débarrasse de ses grosses baskets presque neuves qui le gênent pour marcher et il préfère continuer pieds nus. Nous allons découvrir très rapidement la différence entre un guide et un pisteur. Le guide a de bonnes connaissances géographiques, il a suivi des cours sur la faune et la flore et dispense des informations souvent très intéressantes sur ces sujets, il est à l’aise dans le milieu dont il a la charge.                                                                                                                                                                
                                                                                   IMGP1954
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Le pisteur pygmée naît et vit dans la forêt, il respire la forêt, il chasse dans la forêt, il est la forêt. Qu’une feuille d’un arbre lointain bouge anormalement et il tendra le bras pour vous l’indiquer. Au bout de quelques secondes vous apercevrez alors un singe ou un oiseau camouflé dans le feuillage. Nous avançons depuis une heure. Sylvain marche tranquillement devant moi. Je sais qu’il analyse chaque branche cassée, chaque déplacement dans les feuillages. Il ne s’arrête pas aux nombreuses bouses d’éléphants dont certaines sont très fraîches. Il s’arrête soudain, fait un pas en arrière, se penche et au bout de quelques secondes dit simplement « gorille » en me montrant une vague trace sur le sol sablonneux, trace qui ne ressemble à rien, tout juste un léger déplacement de terre à peine visible dont l’origine me laisse dubitatif. J’acquiesce cependant poliment. Nous continuons et quinze minutes plus tard, même scénario avec cette fois un semblant de trace qui pourrait faire évoquer le pied d’un grand singe, mais avec franchement beaucoup d’imagination aux limites de la croyance ecclésiastique. Je marque quand même mon intérêt pour la chose. Dix minutes plus tard, des crottes inconnues dans mon registre des déjections animales appellent le même commentaire laconique « gorille ». Le petit jeu commence à m’exciter.

Parfois Sylvain s’arrête et tout le monde s’arrête. Sylvain écoute la forêt et chacun regarde Sylvain écouter la forêt. Il ne le fait pas ostensiblement mais j’ai l’impression aussi qu’il hume le vent, qu’il perçoit des odeurs, qu’il lit les feuillages. Il sait. La rivière coule en contrebas. Il examine les traces et s’immobilise à nouveau, les sens en éveil. J’ai rarement ressenti avec tant de force cette cohésion naturelle de l’homme et de la nature.

Nous sommes des nains face à ce petit homme.

 

Nous continuons notre marche. Sylvain s’arrête à nouveau, se retourne vers moi et me désigne le sol.

J’ai compris. Des branchages et des feuilles sont disposés en cercle, jouxtant un magnifique étron. J’aperçois enfin avec émotion mon premier nid de gorille. 
                                                                          
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C'est peut-être un détail pour vous
mais pour moi ça veut dire beaucoup ...........

La vie sociale des gorilles est répartie en groupes reproducteurs dominés par un mâle à dos argenté ou en groupes de jeunes adolescents mâles à dos noir et femelles ayant du quitter le groupe à l’approche de la maturité sexuelle. Des mâles solitaires, jeunes gorilles devenus dos argenté errent également en quête de femelles pour fonder un nouveau groupe. A la tombée du jour, chacun établit un nid de feuilles sur le sol pour passer la nuit. Un dos argenté solitaire a manifestement passé la nuit ici. Et d’après la taille des expulsions digestives, on l’imagine de forte corpulence et de constitution avantageuse.

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  non, ce n'est pas le gorille, c'est Daniel !









Ma persévérance commence à porter ses fruits et c’est le cœur fébrile que nous continuons. Nous longeons toujours la rivière sur notre gauche tandis que le relief est plus escarpé sur la droite. Bientôt une clairière s’ouvre devant nous. Sylvain prospecte les différentes traces qui en émanent, il scrute les fourrés, écoute les arbres. Un touraco s’envole dans les frondaisons. On fait une pause, le soleil est déjà bien haut et je recherche l’ombre bienfaitrice. Les pistes sont multiples.

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On peut classifier schématiquement les gorilles en deux espèces : le gorille des montagnes est présent au Rwanda, en Ouganda et en R.D.C. Les nombreuses guerres dans la région ont menacé son existence et il n’en demeure plus que quelques centaines d’individus. Plus grand, il est aussi plus sédentaire car il trouve sur les pentes des montagnes une nourriture en abondance toute l’année dans un petit périmètre. Certains groupes ont été « habitués » à l’homme et leur observation est ainsi rendue possible car leur habitat est stable.

Le gorille des plaines occupe une bonne partie du Gabon, du Congo et le sud du Cameroun. Leurs ressources alimentaires dépendent de la saisonnalité des pluies et les contraignent à des déplacements plus importants. C’est pourquoi les processus d’habituation sont beaucoup plus difficiles car ils nécessitent des années de patience face à ces groupes migrants. On peut avec de la chance les observer en lisière des forêts-savanes mosaïques ou dans certaines clairières bien connues appelées bai ( bai de Langoué) mais difficilement accessibles.

 

 Les rencontres en forêt sont très rares. Le gorille peut se trouver tapi dans un coin à quelques mètres sans que rien ne décèle sa présence. Je continue à scruter les profondeurs des sous-bois en me remémorant la conduite à tenir en cas de rencontre surprise ou de charge : s’accroupir, éviter de regarder le gorille dans les yeux, faire semblant de manger des feuilles.

Sylvain revient : ça sera tout pour aujourd’hui. Un dernier regard, et on décide de rentrer au campement.

 

Mais je reviendrai.

Et toi ausi Daniel tu reviens quand tu veux, j'ai encore quelques pistes à explorer ........ 

Après une baignade salutaire dans l’eau fraîche de la rivière et un magnifique repas ( riz-sardines) concocté par Rodrigue, nous reprenons la route vers le village. La nuit approche, les fourous sont déjà là. Les fourous sont de minuscules moucherons extrêmement virulents dont les centaines de piqures laissent des impacts rougeâtres très prurigineux sur la peau. Toute zone découverte est immédiatement sujette à une attaque en règle. Les pygmées s’amusent de nous voir harcelés et pestant sous ces assauts incessants. Nous trouverons un peu d’apaisement dans la case commune, intoxiqués par la fumée mais la peau libérée. Une cithare indigène égrènera ses notes accompagnée des chants de nos hôtes.


 

Un dimanche soir, quelque part sous l’équateur …….


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