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9 septembre 2018 7 09 /09 /septembre /2018 18:24

 

On en était resté là....

 

 

 

Un impressionnant amoncellement de troncs s'empilent sur la rive droite du fleuve, vestiges de la saison des pluies alors que le niveau était à son plus haut. En dépit de toutes les préventions, ou peut-être en comparaison des difficultés préalables, nous franchirons sans encombre le dernier obstacle des rapides de Ndjolé pour retrouver la partie dite navigable de l'Ogooué.

Naissance d'un village

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'or, le nouvel eldorado gabonais.

Avec la chute des prix du pétrole et des minerais, ce qui était une petite occupation artisanale s'est transformée en exploitation intense. Dans le plus grand secret et la plus grande discrétion. On n’aime pas trop en parler. Depuis longtemps, dans la rivière Ikoy, de petits prospecteurs sévissaient plus ou moins clandestinement. Des chinois ont repris le filon, contrôlé(?) par les autorités. Comme le site est difficile d'accès, on ne peut se fier qu'aux déclarations et aux rumeurs. La rivière Ikoy se jette dans la Ngounié qui est un affluent de l'Ogooué.

En amont de Ndjolé, on m'avait parlé également d'un nouveau site très actif. Nous revoyons nos premières pirogues depuis plus de 2 jours et le ballet entre Ndjolé et le débarcadère est incessant. On devine des bâtiments, une boutique, un bar, des véhicules 4x4, et une piste qui s'enfonce dans la forêt. Un village est en train de naître mais le site d'exploitation lui-même est invisible. Et les contrôleurs de l’Etat n'ont accès qu'à ce que l'on veut bien leur montrer. Parvenus à Ndjolé à quelques encablures de l'autre côté du fleuve, nos demandes  innocentes d'informations n'auront que des réponses évasives.

L'exploitation de l'or est une activité très polluante en raison du mercure utilisé et rejeté dans la nature et des milliers de tonnes de terre nécessaires au recueil de quelques kilogrammes du précieux métal. On déforeste, on creuse, on filtre, et on recommence. Les dégâts irrémédiables causés en Guyane sont connus. Ce village se situe directement sur sa rive et comme l'Ogooué est l'aorte qui traverse tout le pays, la multiplication des sites aura obligatoirement une influence sur le niveau de pollution et la qualité de l'eau. Tout au long du fleuve, les gens la boivent, se lavent, y font leurs lessives. La pêche dans les lacs est vitale pour les populations riveraines et la ressource est déjà remise en cause par une surpêche, conséquence directe de la crise. Sans un renforcement dans la qualité des contrôles par les ministères compétents, une véritable catastrophe écologique se prépare silencieusement.

petite pause ravitaillement au débarcadère de Ndjolé.

 

A partir de là, on retrouve l'Ogooué que l'on connaît, gisant placide se dispersant en langueurs monotones, délaissant les tourments de ses flux pulsés par le coeur de la forêt équatoriale pour devenir veine cave, aux lourds flots dérivants.

 

 

Alors on se laisse aller. Le corps se met en pilotage automatique,  l’esprit part à la dérive, s’évade de toutes contraintes, s’émancipe des décisions à prendre, des choix à faire, se dissout, s’égare, se déconnecte..

 

 

On rame. On se souvient des galères.

Des jours sombres et des années lumière.

Des cris du cœur et des voix de la raison.

Des plénitudes et des trahisons.

Des mirages et des illusions.

Ici le fleuve est gisant.

A laissé les tourbillons de ses tourments.

Replet repu, passif et ventripotent.

Cette artère me repose le sang.

Errant dans cette humeur fluide

Au gré d’une sereine thébaïde,

L’onde se couvre de verre luisant

Je me retrouve au firmament.

 

 

La placidité céleste de la surface est envoûtante. Une torpeur méllifique m'enrobe.

Passager clandestin de la lenteur et du silence, noyé dans des myriades d'étoiles flottantes, le fleuve Léthé m'emporte. L'oubli efface.     

             

 

 

 

 

 

 

 

De fil en aiguille, l'esprit tisse sa toile.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La vigilance s'évapore, les pensées se diluent...

Mon itinérance mentale vagabonde dans l'espace et le temps.

 

C'était hier...

 

De pervers tourbillons voulaient m'engloutir dans leurs siphons voraces. Je tentais d'anticiper ma trajectoire en me remémorant la théorie scientifique du sens de leur rotation: dextrorsum dans l'hémisphère nord? Senestrorsum dans l'hémisphère sud? Impossible de m'en souvenir.

Je décidais de vérifier de visu. Hélas, pauvre de moi, je me trouvais exactement  sur la ligne de l'Equateur, hémisphère nord à ma droite, hémisphère sud à ma gauche, autant dire que les tourbillons perfides tournaient dans tous les sens, se succédant alternativement de manière imprévisible.

Cette légende aussi tenace que celle qui dit que le vin contiendrait de l'alcool est en fait totalement fausse.Pour les incrédules abstinents, tapez: Effet Coriolis et tourbillons.

 

 

 

C'était hier...

 

Assurance ou suffisance

Errements ou errance

Courage ou témérité

Croyance ou crédulité

On navigue toujours entre les deux rives d'un même cours d'eau.

 

Coup de pagaie après coup de pagaie, j'avance.

Obstination ou persévérance.

Droite, gauche, en alternance.

A quoi bon pourquoi, j'avance.

 

Funambule sur le fil de l'Ogooué, je cherche mon équilibre

Et soudain, soudain je me souviens ...

.....C'était hier......

 

 

 

.....de cette trace laissée sur le sable d'une berge sableuse, l'empreinte gigantesque d'un python regagnant l'humidité et la fraîcheur du fleuve...

Je me réveille d'un coup et retrouve toute ma lucidité.

La nature est enchanteresse. Je me suis laissé hypnotisé.

 

C'était hier.

 

La nature est présente.

 

 

Un arbre mort s'est effondré et a été  emporté jusqu'à un haut fond où le sable l'a recueilli. Mais la vie continue et des dizaines de petits êtres ailés y trouvent escale et refuge. Son corps retiendra d'autres débris végétaux et d'autres sédiments. La vie végétale à son tour s'y incrustera, petites graines opportunistes trouvant matières à grandir. Et d'intrications en synergies minérales, végétales et animales, quelques dizaines d'années plus tard, le tronc mort sera devenu une île où de plus grands oiseaux viendront se reposer sur de plus grands arbres.

 

Les bancs de sable sont désormais moins nombreux qu’entre Lopé et Ndjolé. Un épais couvert végétal obstrue les rives. Nous n’avons rencontré que de rares campements et la nuit approche. Enfin de l’autre côté du fleuve, un espace s’ouvre sur quelques cases. Nous abordons dans un minuscule débarcadère.

Quand Globule Rouge et Vert Ballon font de nouvelles rencontres...

Comme d’habitude, nous sommes accueillis sans problème, on nous propose même d’installer nos tentes ou moustiquaires dans une maison en construction. Le gabonais est hospitalier…et curieux. Notre arrivée et l’histoire de notre périple occupe la soirée. Il n’y a pas beaucoup de distraction ici à Mbilantem.

 

Jean-Claude, le chef du village nous parle de la vie au village, des problèmes d’isolement. Ici il n’y a pas d’électricité. On se couche tôt, on utilise la bougie, la lampe à pétrole ou la torche. Pour l’approvisionnement, Ebel Abanga est le point le plus proche. Comme beaucoup de villages de brousse, Mbilantem est né de la présence ancienne d’un chantier forestier depuis longtemps abandonné. L’exode rural vide ces villages. Les jeunes partent en ville pour étudier et ne reviennent plus. Un de ses fils est resté. Un peu de pêche, un peu d’or, des jobs, mais ça ne suffit pas…

Le lendemain à l'aube nous prenons congé de nos hôtes qui nous ont accueillis avec tant de gentillesse. Il nous reste un paquet de gâteaux, une boîte de sardines  et ma traditionnelle boîte de cassoulet que je garde toujours en réserve au cas où... Nous devrions atteindre Lambaréné dans la soirée et nous leur laissons ces maigres présents. Il faudra que je songe un jour à me faire sponsoriser par cette marque de cassoulet pour toutes les boîtes que j'ai disséminées au cours de mes pérégrinations.

 Une dernière étape est inscrite sur ma liste depuis plusieurs années: la mission de Samkita, au village Saïo.

Dès la deuxième moitié du XIXème siècle, dans le sillage des explorateurs, les missions protestantes et catholiques ont rivalisé de zèle au Gabon. Américaines, allemandes, françaises, elles exerçaient leur influence tout au long de la partie navigable de l'Ogooué. De la mission Sainte Anne d'Omboué, célèbre pour avoir été construites dans les ateliers EIFFEL, à Ngomo qui fut un des centres les plus importants entre Port Gentil et Lambaréné, la mission des Trois Epis à Sindara, il me restait à visiter celle de Samkita.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme la plupart d'entre elles, la mission de Samkita est en déshérence au point d'être difficilement visible vu du fleuve.

 

 

Cette désuétude est émouvante. Entretenues par quelques villageois, l'église garde son caractère d'antan, son espace lumineux, ses bancs poussiéreux,son autel d'un autre âge. Une cérémonie vient parfois y mettre un peu de vie, mariage, enterrement. Mais les pasteurs, comme à Ngomo, se sentent abandonnés par leur hiérarchie ecclésiastique  et par les autorités politiques.

 

 

 

 

 Emmanuel RUSILLON, jeune missionnaire est venu mourir ici, à l'âge de 27 ans. On retrouve encore sa tombe, épargnée et encore entretenue. Les missions sont parsemées de tombes comme celle-là, de jeunes idéalistes du début du XXème siècle, dont on peut décrié les méthodes, mais qu'une aventure humaine a mené dans ce coin de brousse, au bord de ce fleuve.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les garçons d'un côté, les filles de l'autre.

D'ailleurs c'est indiqué: DORTOIRE pour les filles.

 

 

 

.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous quittons nos gardiens du temple pour un dernier pique-nique sur le sable juste avant la plantation de palmiers à huile de Makouké, ex Palmhévéa, ex Agro-Gabon, ex SIAT, aujourd'hui OLAM

 

 

 

 

 

 

A partir de là je connais le chemin que j'ai déjà pratiqué il y a quelques années.

 

 

Nous arrivons à la pointe fétiche, qui marque la confluence de la Ngounié et de l'Ogooué. L'endroit est remarquable pour la présence, même en saison des pluies de bancs de sable et d'îles boisées.

Je m'insère dans les méandres de ce circuit tandis que Diego choisit de suivre l'autre rive. Au détour d'un îlot, une pirogue vient vers moi et m'accoste. Le pêcheur à son bord m'avertit: " Attention il y a un hippo juste derrière cette île. Il faut vous écarter le plus possible". Je le remercie. Une famille d'hippopotames est venue recoloniser l'endroit depuis 4 à 5 ans alors qu'il était abandonné depuis longtemps. C'est une chance pour les touristes qui peuvent venir les voir à 20 minutes en pirogue de l'Hôpital Schweitzer. En kayak, il faut être prudent car lorsque ce poids lourd décide de charger ou de s'attaquer à une embarcation, cela peut devenir dangereux.

 

Rocher à tête d'hippo
Hippo à tête de rocher ( vous devez me croire).

 

 

 

 

 

 

 

 

Enfin, on rentre à la maison, le paysage est familier, on voit au loin les antennes de Lambaréné, les premières habitations, le lac Zilé sur la gauche et le quartier Atsié, les îles qui marquent la division de l'Ogooué en deux branches principales avec le quartier Atongowanga au milieu. Nous longeons la rive droite (ou Nord), une compagnie de singes nez-blancs dans les arbres salue notre arrivée, et enfin nous atteignons Abongo, le village qui jouxte l'hôpital Schweitzer.

Voilà c'est fait, Lopé-Lambaréné, j'y songeais depuis 9 ans, depuis la première fois où nous avions longé ce fleuve avec Manny.

La suite de l'Intégrale de l'Ogoué l'année prochaine? 

 

 

 

 

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